18 mai 2019

 

Ultima Thule : des réponses, mais encore plus de questions

 
Le 1er janvier 2019, la sonde de la NASA New Horizons, lancée 13 années plus tôt, croisait un objet de la ceinture de Kuiper appelé officiellement 2014 MU69, ou Ultima Thule pour les intimes. Le premier rapport officiel vient d'être publié, et soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses.

En analysant les premiers ensembles de données reçues jusqu'à présent, les scientifiques en charge de la mission ont découvert un objet beaucoup plus complexe que prévu. Rien d'étonnant si l'on considère qu'il s'agit de la toute première exploration d'un planétésimal parfaitement préservé dans l'état tel qu'il se trouvait au moment de sa formation voici plusieurs milliards d'années, véritable fossile de notre Système solaire.

Ces données en disent long sur le développement, la géologie et la composition de l'objet. Il s'agit d'un contact binaire, composé de deux lobes de formes distinctement différentes. D'une longueur d'environ 36 kilomètres, Ultima Thule est formé d'un grand lobe étrangement plat (surnommé "Ultima") connecté à un plus petit lobe un peu plus sphérique (surnommé "Thule", réunis par un endroit distinct appelé "le cou". Et non seulement une telle configuration apparaît aussi étrange qu'imprévue, sans égal à tout ce que nous connaissons, mais la façon dont les deux lobes ont obtenu leur forme inhabituelle est probablement liée à leur mode de formation voici des temps immémoriaux.
 

 

 
Zoom sur le "cou" d'Ultima Thule, point de jonction entre les deux objets. Crédit : NASA.
 

Les deux lobes ont probablement orbité l'un autour de l'autre, à l'instar de nombreux objets dits binaires de la ceinture de Kuiper (et même de la ceinture d'astéroïdes, beaucoup plus proche), jusqu'à ce qu'un processus quelconque les réunisse dans ce que les scientifiques ont démontré être une "fusion douce". Pour que cela se produise, l'essentiel de la vitesse orbitale doit s'être dissipée pour que les deux objets se rejoignent délicatement, mais les chercheurs ignorent encore si celle-ci a été absorbée par les faibles forces aérodynamiques résultant du gaz présent dans l'ancienne nébuleuse solaire, ou par élimination du moment cinétique suite à l'éjection d'Ultima et de Thulé de certains matériaux.

Cependant, l'alignement des axes des deux objets suggère qu'avant la fusion, les deux lobes devaient être synchrones, ce qui signifie qu'ils devaient se faire face alors qu'ils orbitaient autour d'un centre de gravité commun.

"Nous examinons les vestiges bien conservés d'un passé ancien", a déclaré le chercheur principal de New Horizons, Alan Stern, du Southwest Research Institute à Boulder, au Colorado. "Il ne fait aucun doute que les découvertes faites sur Ultima Thule vont faire avancer les théories de la formation du Système solaire."

Une géographie complexe

Outre le mystère de sa formation, les scientifiques étudient aussi les caractéristiques de surface d'Ultima Thulé, telles des endroits plus lumineux que les plaines environnantes, les collines et les vallées, ainsi que des cratères et autres dépressions. La plus grande d'entre elles, d'une largeur de 8 kilomètres, a été surnommée le cratère du Maryland, et s'est probablement formée à la suite d'un impact. D'autres dépressions, plus petites, pourraient s'être creusées à la suite de la sublimation de glaces souterraines, que la très faible force de gravitation de l'astre n'aurait pu ensuite combler.

Ultima Thule ressemble à de nombreux autres objets observés dans la ceinture de Kuiper par sa couleur et sa composition. Il est très rouge, plus rouge encore que la planète naine Pluton, qui mesure elle quelque 2500 kilomètres de diamètre et qui avait été visitée par la même sonde en 2015. Il s'agit en fait de l'objet du Système solaire extérieur le plus rouge jamais visité par un vaisseau spatial. Les données ont permis de déterminer que cette teinte est due à la modification des matériaux organiques à la surface de l'astre, comprenant des traces de méthanol, de glace d'eau et d'autres molécules organiques, un mélange très différent de ce qui est habituellement observé dans la plupart des objets explorés auparavant par des engins spatiaux.

La transmission des données enregistrées à bord de New Horizons n'est toutefois pas terminée, et se poursuivra jusqu'à la fin de l'été 2020, l'éloignement de la sonde (actuellement 6,6 milliards de kilomètres) imposant un rythme de communication très lent (moins de 200 bits/seconde). Entretemps, l'engin poursuit ses observations sur d'autres objets de la Ceinture de Kuiper, trop éloignés pour révéler des découvertes aussi spectaculaires, mais permettant d'estimer certaines caractéristiques telles leur luminosité. New Horizons continue également à cartographier le rayonnement de particules chargées et la poussière dans la ceinture de Kuiper, tout en s'enfonçant dans l'espace lointain à la vitesse de 53.000 km/heure.

Jean Etienne

Source principale :

NASA’s New Horizons Team Publishes First Kuiper Belt Flyby Science Results. NASA, 16 mai 2019.

Voir aussi (en français) :

Nouvelles images en haute résolution d'Ultima Thule par New Horizons. 23 février 2019.
Le plus grand lobe d'Ultima Thule est plat comme une crêpe. 12 février 2019.
Zoom sur Ultima Thule. 26 janvier 2019.

Les hypothétiques lunes d'Ultima Thule. 8 janvier 2019.
Les surprises d'Ultima Thule. 2 janvier 2019.
Mission réussie et premiers résultats pour New Horizons. 1er janvier 2019.
Ultima Thule, un mystère à résoudre. 27 décembre 2018.
Alea Jacta Est pour New Horizons, à six milliards de kilomètres. 19 décembre 2018.
 

 

 
Ultima Thule, lors de son survol par New Horizons le 1er janvier 2019. Crédit : NASA.
Cliquer sur l'image pour agrandir.
 

 

 
 
 

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