DANS LES BEAUX-ARTS, LA FAVEUR EST ALLÉE AUX RÉVOLUTIONNAIRES

 

 

L'exemple qu'en donnent les beaux-arts est frappant. Gros, le peintre si hardi déjà pour son temps et si neuf, n'est pas mort, que deux hommes ont paru, l'un qui montre la route à l'école qui va naître, c'est Géricault, l'auteur, mort trop jeune, du Cuirassier blessé et du Radeau de la Méduse; l'autre qui donne son maître à cette école, c'est Delacroix.

Maître, le mot n'est pas tout à fait exact: car Delacroix c'est le signe de l'originalité suprême n'eut pas de disciples. Mais son nom domine bien véritablement toute la période romantique de l'histoire de l'art; à défaut de son enseignement, son exemple achève d'affranchir les artistes nouveaux du joug des superstitions surannées et leur persuade de rechercher, aux dépens même d'une froide régularité, la vie, Ie mouvement, la couleur.

 

 

 

Le Radeau de la Méduse. - D'après le tableau de Géricault.

L'un des premiers, Géricault manifesta en peignant ce célèbre tableau cet esprit d'audace, hardi et novateur, qui devait être dans toutes les branches de l'activité humaine la marque de notre siècle. Rompant avec certaines traditions routinières pour ne plus rechercher que la vie, le mouvement, la couleur, qui contribuent tant à l'intérêt dramatique de cette composition superbe, Géricault montra la voie à notre école romantique de peinture.

 

 

C'est de 1821 que date le Virgile introduisant Dante aux enfers. Et il n'est pas inutile de rappeler que le premier qui salua, dès son apparition, le génie de l'artiste, était un jeune écrivain qui faisait alors ses débuts comme critique d'art, en attendant qu'il conquit la gloire comme historien, comme orateur et comme homme d'État : Adolphe Thiers. «Aucun tableau, disait-il, ne révèle mieux, à mon avis, l'avenir d'un grand peintre que celui de M. Delacroix. Je ne sais quel souvenir des grands artistes me saisit à son aspect; j'y retrouve cette puissance sauvage, ardente, mais naturelle, qui cède sans effort à son propre entraînement.»

Nous n'avons pas ici à suivre la carrière de Delacroix, ni même à rappeler ses chefs ­d'œuvre qui témoignent d'un art parfois incorrect et tourmenté, mais incomparable­ment expressif et profond. Nous ne pouvons pas cependant ne pas rappeler la divergence fameuse des coloristes et des dessinateurs s'abritant les premiers du nom de Delacroix, les seconds du nom d'Ingres.

 

 


 

   

 

Une transformation dans l'art du paysage.

Avec Corot, Millet, Rousseau, avec tous les grands paysagistes de notre siècle, l'art du paysage se transforme. Aux paysages apprêtés du siècle dernier, ces artistes substituent des visions plus proches de la réalité, et chacun d'eux, en gardant son originalité, s'efforce d'être un interprète exact des mille aspects de la Nature.

 

 

 

C'était en réalité, sous d'autres noms, la querelle éternelle de l'esprit novateur et de l'esprit de tradition. En fait, il se trouve que ce dernier était, lui aussi, représenté cette fois par un très grand artiste. Chose curieuse toutefois : si l'on devait juger du caractère par les oeuvres, il semblerait que le plus calme, le plus olympien (les deux rivaux dans la lutte, ce dût être l'auteur de l'Apothéose d'Homère. Il n'en était rien. Le plus intolérant et le plus irritable des deux, il ne semble pas que ç'ait été Delacroix. Un peu avant l'ouverture de cette Exposition de 1855 qui, en étalant pour la première fois à tous les yeux la richesse de l'art français dans la première moitié du siècle, marqua une grande date clans l'histoire même de notre peinture, Delacroix entra s1repticement dans la salle où les Ingres étaient déposés : «Là, disait-il plus tard à M. Amaury Duval, j'ai pu examiner de près, par terre, le Plafond d'Homère; je n'ai jamais vu exécution pareille, c'est fait comme les maîtres, avec rien; et de loin tout y est».  Or, pendant la visite de Delacroix, Ingres était entré et avait salué froidement son rival. Puis, quand celui-ci fut sorti, appelant un garçon : « Ouvrez toutes les fenêtres, lui criat-il; ça sent le soufre, ici ! »

Le soufre ! Et en effet le romantisme, de son propre aveu, n'est-ce pas Satan ? n'est-ce pas Méphistophélès ? N'est-ce pas l'horrible, le grimaçant, le tourmenté ? Le plus amusant, c'est que Delacroix n'eût pas été, en s'exceptant lui-même naturellement, très éloigné de souscrire au jugement de son ennemi. Oui, Delacroix, ce romantique, ce révolutionnaire, professait l'admiration la plus vive, en littérature et en musique, pour les génies les plus classiques, un Virgile, un Racine, un Mozart. Berlioz l'indignait avec ses excès et ses bizarreries.

« Je sais, disait-il, que l'on me compare souvent à lui; mais je n'ai mérité ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. »

Se croyait-il lui-même par hasard le docile écolier de la tradition ? En tout cas, par ses sentiments comme par son oeuvre, ce génie complexe et puissant reste isolé.

 

 

 

 

 

La vie aux Champs. - Les Glaneuses, d'après le tableau de Millet.

Quelle impression neuve et saisissante de la nature nous donnent les tableaux de Millet ! C'est la vie des champs, c'est le labeur des paysans que nous retrace le grand artiste.

 

 

 

 

Ses contemporains n'en jugeaient peut-être pas ainsi. Et aimaient à rapprocher du sien des noms qu'ils destinaient à une égale célébrité, ceux d'Eugène Devéria et de Louis Boulanger : à entendre les romantiques, le premier « avait ressuscité et éclipsé Véronèse » avec sa Naissance de Henri IV; quant au second, qui était un ami particulier de Victor Hugo, « ce n'eût pas été assez, dit Maxime Du Camp, traduisant la pensée de ses amis, du Tintoret et du Titien pour lui préparer sa palette ».

La postérité s'est chargée de remettre les choses au point. Mais il n importe; ce qui chez les peintres de ce temps, grands ou médiocres, séduit d'abord l'opinion publique, c'est ce qu'elle découvre ou ce qu'elle croit découvrir en eux de hardiesse et de nouveauté.

 

Et remarquons-le : la sympathie du siècle n'est pas partiale; elle s'adresse tour à tour ou tout ensemble aux écoles les plus diverses; elle va des poétiques et vaporeux paysages de Corot aux puissantes études de Théodore Rousseau, aux compositions sai­sissantes de Millet; elle va des brutalités sa­vantes de Courbet à l'idéalisme vigoureux de Puvis de Chavannes. Mais, si variées que soient les théories de ces maîtres, l'accord se fait sur un point : tous ils ont, en dehors des sentiers battus, essayé, par un vigoureux effort de leur personnalité, d'atteindre la vérité ou ce qu'ils ont nommé de ce nom.

Même mouvement dans la sculpture. Elle est par excellence l'art du nu et du symbole, l'art des vérités essentielles. Qui donc marque pourtant la grande date de l'histoire de la sculpture française de notre siècle? Est-ce l'œuvre la plus parfaite? Non, tant s'en faut, mais c'est la plus audacieuse, la plus vivante, la plus neuve! C'est le bas-relief de Rude à l'Arc de Triomphe, la Marseillaise.

   

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