Mais ce plan élaboré pour empêcher Skylab
d'effectuer une descente incontrôlée vers la Terre fut trahi par le
Soleil, dont un sursaut d'activité en 1978 et 1979 entraîna une
expansion de l'atmosphère terrestre, induisant un effet de traînée
qui provoqua un freinage sur orbite. Aussi fallut-il se rendre à
l'évidence : la fin était proche, et la navette salvatrice ne serait
jamais inaugurée à temps.
En avril 1979, le NORAD (North American Aerospace Defense Command,
ou Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord),
qui est responsable du contrôle de tous les vaisseaux spatiaux et de
tous les satellites artificiels en orbite, émit un bulletin d'alerte
prévoyant que Skylab rentrerait dans l'atmosphère entre le 11 juin
et le 1er juillet. Cette sentence condamnait désormais tout espoir
de sauvetage de la station.
Quand, mais surtout où se produira la chute ?
Même si 70 % de la route de Skylab survolait l'océan, ses débris
pouvaient retomber absolument n'importe où, entre 50° nord et 50°
sud. La Nasa tenta de tranquilliser le monde en assurant qu'elle
offrirait toute l'assistance nécessaire si ceux-ci, ou une partie,
devaient tomber sur un sol étranger, quel qu'il fût. Un message
empreint d'honnêteté, mais qui ne fit qu'induire une certaine
anxiété.
Une fois que l'atmosphère se serait emparée de la grande et lourde
station, les simulations prévoyaient qu'elle allait se mettre à
culbuter et se désintégrer, la plus grande partie se consumant sous
l'effet de la chaleur intense produite par le frottement de l'air.
Il était ainsi estimé que le couloir d'entrée des débris s'étendrait
sur environ 6.500 km et au moins 80 km de part et d'autre de la
trajectoire orbitale, et que 400 à 500 fragments de quelques
centaines de grammes à plusieurs centaines de kg atteindraient le
sol.
Contact !
Le 11 juillet 1979 à 14 heures TU précises, Skylab toucha
l'atmosphère alors qu'elle commençait à survoler l'océan Pacifique.
Conscients qu'il s'agissait de la zone idéale pour une rentrée avec
un minimum de risques, les techniciens de la Nasa télécommandèrent
ses moteurs d'attitude pour placer le lourd engin de travers par
rapport à sa route, afin de provoquer une traînée maximale ayant
pour effet de précipiter sa chute.
Mais au bout de quelques minutes, il apparut clairement que Skylab
était entré en contact avec l'atmosphère sous un angle extrêmement
faible, et était en train de rebondir sur sa trajectoire, en
direction de la Californie. Aussitôt, la manœuvre inverse fut
télécommandée afin que le gros satellite puisse traverser le ciel
des Etats-Unis de part en part en restant sur son orbite le plus
longtemps possible.
A 14h15 TU, il apparut évident que l'orbite de Skylab avait été
totalement déstabilisée et qu'elle percuterait l'atmosphère en un
point impossible à prévoir, situé sur une ligne partant du centre de
l'Atlantique, survolant le continent africain, puis l'océan indien,
jusqu'à l'Australie. Autrement dit, la moitié de la planète !
Confrontée à une telle perspective, la Nasa prit la seule décision
raisonnablement envisageable : adopter une configuration de vol
"aérodynamique", en espérant que la station pourrait encore survoler
l'Afrique sans dommage.
Le grand plongeon
Skylab effectua enfin son grand plongeon au-dessus de l'océan
indien. Les simulations prévoyaient que les panneaux solaires
s'arracheraient d'abord vers 80 km d'altitude, puis que la station
se scinderait en deux ders 65 km, l'observatoire astronomique et le
corps principal se séparant pour poursuivre indépendamment leur
descente sur des routes parallèles, puis explosant à 36 km en une
myriade de débris incandescents.
Tout le long dela trajectoire, plusieurs avions de chasse avaient
décollé pour tenter d'apercevoir la rentrée du grand satellite, mais
ce furent les 180 passagers d'un Boeing 707 de la Japan Air Lines
effectuant la liaison Sydney - Le Cap qui eurent cet honneur,
observant avec stupéfaction à moins d'une vingtaine de kilomètres de
distance une masse de métal et de feu déboulant du ciel. Car si
Skylab se brisa bien en deux à 65 km, le corps principal atteignit
entier l'altitude de 14 km avant de commencer sa désintégration,
puis de s'éparpiller principalement en mer.
L'empreinte des débris fut ainsi beaucoup plus petite que prévu, 64
km de large et 3.800 km de long, débordant d'environ 1.200 km à
l'intérieur du continent australien. Si la plupart des morceaux
retombèrent dans l'océan, de gros fragments étaient encore ramassés
plusieurs mois après la chute, ce qui amena tout naturellement les
gens de l'endroit à organiser des "safaris Skylab". La porte du
placard des films, pesant 82 kg, fut retrouvée près d'une ferme, à
Balladonia. Deux grandes sphères en titane, qui contenaient encore
de l'azote, furent retrouvées à Rawlinna, et à proximité, deux
réservoirs à oxygène de la station reposaient dans un champ. Des
fragments de Skylab sont toujours retrouvés actuellement.
Heureusement, leur chute n'avait fait ni morts, ni blessés. Même
parmi les kangourous…
L'enseignement de Skylab
Le programme Skylab aura été particulièrement riche d'enseignements.
Pratiquement, et pour la première fois, il aura permis à l'homme de
comprendre qu'il serait parfaitement stupide d'imaginer une forme de
conquête de l'inconnu qu'est l'Espace en éludant l'aspect humain, et
qu'il est vain, ou même sacrilège, de penser un seul instant que la
machine, ou le robot, aussi intelligent soient-ils, puissent jamais
remplacer l'esprit de leur inventeur. Et cela pour deux raisons.
Tout d'abord, aussi perfectionnées soient-elles, les machines dites
"intelligentes" ne pourront jamais faire qu'une seule chose : imiter
l'homme qui les a conçues, tant dans son intellect que dans son
expérience. Et ensuite, s'il est une chose que la machine ou
l'ordinateur ne pourront jamais faire, c'est bien prendre des
initiatives basées sur l'intuition. Car l'intuition, qui est le
propre non seulement de l'homme, mais aussi le propre de chaque
individu pris séparément, ne pourra jamais être mise en équations.
Une minute après son décollage, Skylab subissait d'importantes
avaries, et aurait dû être condamnée. Elle l'aurait été, en fait,
s'il s'était agi d'un vaisseau automatique. Mais pour la première
fois dans l'histoire de l'astronautique, ces avaries se sont
révélées à la base d'un succès d'une portée scientifique hors du
commun. Les astronautes non seulement ont permis de sauver la
station, mais encore ont transformé cet apparent échec en un succès
retentissant, prouvant par-là même qu'une présence humaine était
indispensable pour peu qu'une mission fût quelque peu complexe et
sujette à incidents.
Les neuf astronautes de la mission Skylab ont ainsi prouvé que
l'homme était indispensable dans l'Espace.
La preuve par neuf.
Jean Etienne
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