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12 avril 2016 |
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SKYLAB : la
preuve par neuf (partie 2 de 4) |
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Le 14 mai 1973, Skylab, à la fois première
station spatiale et joyau de l'astronautique américaine, arrivait
enfin en orbite. Mais à peine était-elle satellisée que les
techniciens de la Nasa frémirent d'horreur. A bord, tout allait
vraiment mal. |
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Vue
d'artiste de ce qui s'est probablement passé. Une partie de
la protection, dont le blindage de la station et un des
panneaux solaires s'arrachent durant le lancement. |
La température de la partie habitable de Skylab
montait anormalement, et le niveau d'énergie électrique restait trop
bas, ce qui compromettait sa régulation thermique. Aussitôt, une
série de simulations étaient lancées et permirent de comprendre ce
qui se passait réellement. Après 63 secondes de vol, une partie du
bouclier anti-météorites avait été arrachée par la pression de
l'air, en emportant au passage un des deux grands panneaux solaires
de la station. Et quoique
les quatre panneaux solaires de l'observatoire astronomique se soient
bien automatiquement mis en place, ceux-ci ne disposaient pas de
suffisamment de puissance pour alimenter la grande structure. Et la différence
était énorme, puisque les instruments affichaient une puissance
reçue de 25 watts, au lieu des 12.000 watts attendus...
Sans le bouclier, qui formait aussi une protection contre l'action
du rayonnement solaire, la température se mit à grimper en flèche
dans la partie habitable. Et tandis que les techniciens se
penchaient sur le problème ardu de son sauvetage (car c'est bien de
cela qu'il s'agissait !), le centre de
contrôle s'efforçait de maintenir Skylab dans une position qui
minimiserait son échauffement tout en maintenant les panneaux
restants dans un angle d'éclairement optimum afin de produire un
maximum d'énergie. Pendant un certain temps, personne ne fut certain
que la station pourrait être un jour opérationnelle, car jamais une
réparation sur un satellite en orbite n'avait été réalisée.
Plusieurs solutions furent envisagées, compliquées en cela par une
inconnue : quelle était exactement l'étendue des dégâts sur le
satellite à la fois le plus coûteux, et le plus emblématique de
l'Histoire de l'astronautique américaine ? |
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A gauche sur ce
montage, la fusée
Saturne 5 surmontée de la station Skylab. A droite, la fusée
Saturne 1B surmontée du vaisseau Apollo destiné à la rejoindre,
juchée sur son "tabouret". Crédit : Nasa. |
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Le 25 mai, soit onze jours après les déboires de
Skylab, Charles Conrad, le Dr Joseph Kerwin et Paul Weitz
décollèrent selon le programme prévu dans leur module Apollo juché au sommet d'une fusée
Saturne 1b. Après 7 heures de vol, ils rejoignirent la station et
entreprirent de la contourner pour en évaluer les dégâts. Ils
constatèrent qu'en effet, le bouclier anti-météorites avait disparu,
qu'un des panneaux solaires manquait, mais qu'en outre, le deuxième
panneau ne s'était pas déployé, bloqué par un fragment de métal
tordu. Ainsi que le plan de sauvetage le prévoyait, les astronautes
tentèrent une EVA (Extra Vehicular Activity), et tandis que Conrad
manoeuvrait pour maintenir Apollo le plus près possible de Skylab,
Weitz se tenait debout dans l'écoutille avec une pince coupante
articulée fixée au bout d'un long manche, les jambes fermement
maintenues par Kerwin. Il tenta bien de dégager le morceau de
ferraille qui coinçait le panneau solaire, mais en vain.
L'équipage eut d'autres déceptions. Les premières tentatives
d'arrimage avec Skylab échouèrent, le mécanisme d'accouplement
automatique refusant de fonctionner, probablement malmené par les
secousses subies lors de l'arrachement du panneau solaire et du
blindage durant le lancement. Une autre sortie dut être improvisée,
afin d'aller court-circuiter certains contacteurs endommagés du
tunnel de jonction. Ayant résolu le problème, les astronautes
passèrent leur première nuit dans le vaisseau Apollo.
Le lendemain, la Nasa décida de les autoriser à pénétrer prudemment
dans Skylab, en portant toutefois des masques respiratoires pour
l'éventualité où les matériaux de la station, ayant chauffé en
l'absence de climatisation, auraient dégagé des fumées toxiques.
L'atmosphère leur étant toutefois parue supportable après un certain
temps, ils se risquèrent à enlever cette protection et purent, au
grand soulagement de quelques milliers de techniciens, mais aussi
des astronautes eux-mêmes, respirer librement.
Un pêcheur au secours de la station !
Là, une précision s'impose, qui ne fera pas plaisir à tout le monde…
Nous en attestons pourtant l'authenticité. Car l'Histoire (la grande, l'auteur de ces lignes préfère la "petite"…)
précise que les astronautes de Skylab ont sauvé la station en
déployant une structure articulée recouverte de Mylar à l'endroit où
aurait dû se trouver le panneau protecteur arraché lors du
lancement. Jusque-là, c'est exact. Mais la conception de ce
dispositif est attribuée à Jack Kinzler, responsable des services
techniques au Johnson Space Center. Et là, c'est faux. Car la vérité
est bien plus surprenante.
Charles Conrad, un des membres de la mission Skylab 1, avait un ami
habitant en Floride (dont l'Histoire n'a apparemment pas retenu le
nom…), et qui était passionné de pêche. Or, la technologie de cette
époque était toujours à la recherche d'un matériau à la fois léger,
résistant, et suffisamment rigide pour remplacer le bambou dont
étaient majoritairement confectionnées les cannes à pêche de
l'époque. Et si à ce jour le carbone s'est imposé à cet usage, c'est vers
l'aluminium que tous les regards étaient alors tournés. L'auteur de
ces lignes a d'ailleurs possédé, durant ces mêmes années, une canne
au lancer en
aluminium…
Et donc notre pêcheur amateur, devant sa panoplie de cannes en
aluminium, s'est précipité chez son marchand d'articles de pêche et
a fait l'acquisition de plusieurs modèles qu'il a ramenés chez lui.
Après les avoir assemblées dans son garage (eh oui...) au moyen de quelques charnières
et assemblages douteux de ruban adhésif
improvisés, satisfait, il s'est rendu au Johnson Space Center de la
Nasa, où se trouvait Charles Conrad. Et il leur a montré son "bricolage". Il
s'agissait d'un dispositif déployable qui s'ouvrait à la manière d'un
parasol, et qui pouvait sans problème être recouvert d'une membrane faisant office
d'écran au rayonnement solaire. Rien de moins !
Cette idée l'emporta sur les autres solutions beaucoup plus
complexes jusqu'alors envisagées par l'agence américaine. Avec
l'immense avantage, bien entendu, qu'elle pourrait être réalisée en
très peu de temps.
Ainsi, un des premiers actes des astronautes de la première mission fut de déployer cet
étrange écran solaire à travers un sas situé sur le côté de l'atelier de
travail, ce qui contribua à abaisser la température. Mais comme
celle-ci était encore restée trop élevée au niveau des alcôves de repos,
les hommes durent se résoudre à dormir, du moins les premiers jours, dans le module d'arrimage
qui avait conservé son propre bouclier.
Le programme Skylab était ainsi sauvé. Restait à l'accomplir...
A suivre...
Jean
Etienne
Partie 1 sur 4
Partie 2 sur 4
Partie 3 sur 4
Partie 4 sur 4 |
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Décollage de
la mission Skylab 1. Crédit : Nasa. |
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Sur cette image prise depuis le vaisseau Apollo de la mission Skylab
1, les dégâts provoqués par l'arrachement du panneau de protection
anti-météorites et solaire apparaissent nettement. Plusieurs câbles
provenant du panneau solaire arraché sont aussi visibles. Crédit :
Nasa. |
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Armés d'éléments de canne à pêche en aluminium, les techniciens de
la Nasa tentent d'élaborer une structure susceptible d'être déployée
dans l'espace en supportant un écran protecteur contre le
rayonnement solaire.
Crédit : Nasa. |
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L'astronaute
Joseph P. Kerwin, au cours d'une mission extra-véhiculaire, occupé à
démêler et dégager les câbles provenant du panneau solaire endommagé
et partiellement déployé. Il parviendra ensuite à le déployer
entièrement, condition indispensable pour la poursuite de la
mission. Crédit : Nasa. |
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La station Skylab
en orbite, vue depuis le vaisseau Apollo de la première mission. La
protection solaire est nettement visible. Notez aussi l'absence d'un
des panneaux solaires, arraché lors du lancement. Crédit : Nasa.
Petite précision : cette image a été prise au moyen d'un appareil
photo Hasselblad qui aurait dû être emporté par l'équipage d'Apollo
18, annulée. |
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