26 novembre 2019

 

Le mystère de la formation des "vagues scélérates" enfin levé

 
Une vague scélérate est une vague solitaire dont la hauteur est au moins égale à deux fois la hauteur de la houle, souvent plus de 20 mètres, surgissant aussi bien en pleine tempête qu'en eau calme. Et jusqu'ici, personne ne pouvait en expliquer l'apparition.

Une équipe de chercheurs née d’une collaboration entre l’université de Sydney (Amin Chabchoub), l’université nationale australienne (Nail Akhmediev), l’university college de Dublin (Frédéric Dias), l’université d’Oxford (Ton Van den Bremer), et l’université d’Aix Marseille (Christian Kharif) s'est attelée à la tâche… et a découvert non pas une, mais deux explications à ce phénomène aussi spectaculaire que dangereux.
 

 

 

Autrefois considérées comme une légende, plusieurs vagues scélérates ont enfin été observées et mesurées scientifiquement à partir de 1995, ce qui confirmait définitivement leur existence. Ainsi la toute première d'entre elles, dite "vague de Draupner", a été observée le 1er janvier 1995 depuis la plate-forme pétrolière de Draupner (d'où son nom), située en Mer du Nord au large des côtes de Norvège et mesurait, du creux à son sommet, 26,5 mètres. D'autres ont suivi, à d'autres dates et en d'autres endroits.

Très souvent et contrairement à la houle, les vagues scélérates ont une forme remarquable, non symétrique avec une crête saillante et se présente comme un vertigineux mur d'eau à l'assaut de tout ce qui se trouve sur leur chemin. Plusieurs naufrages sont certainement à leur attribuer.

Toutefois, l'explication de leur genèse échappait aux chercheurs. Et impossible de prévoir leur apparition, car elles peuvent naître aussi bien sur une mer calme que lors d'une tempête, dans des eaux très profondes ou aux abords des côtes. Des caractéristiques qui déroutaient jusqu'à présent les chercheurs et les spécialistes de la mer et de son comportement.
 

 
 
La vague d'Andréa, observée à l'horizon le 9 novembre 2007, porte le nom de l'orage qui la fit naître et qui agitait alors la mer du Nord, aux abords de la plate forme pétrolière d'Ekofisk. Sa hauteur était d'environ 25 mètres. Crédit : NOAA.
 

Les vagues de pleine mer

Ici une petite parenthèse. Les vagues de pleine mer sont déclenchées par le vent. Elles ondulent sous l'effet de la pression du vent et de leur propre poids. Avec un vent constant, la distance entre deux vagues et leurs hauteurs devraient être constantes, formant une houle régulière. Mais il arrive quelquefois que le vent varie, modifiant ainsi la vitesse des vagues, une petite houle pouvant alors se faire rattraper par une houle plus forte et plus rapide. Dans un autre cas de figure, deux sources de vent peuvent soulever la mer dans des directions convergentes, et deux trains de houle peuvent se rencontrer. Interagissant les unes avec les autres, les vagues peuvent alors s'additionner selon un phénomène de physique ondulatoire appelé "interférence constructive" connu depuis longtemps. Toutefois, cette première tentative d'explication n'expliquait pas la forme particulière des vagues scélérates, ni leur fréquence, car on ne devrait pouvoir observer que 10 à 100 fois moins de ces monstres des mers s'ils n'étaient dus qu'aux interférences constructives.

Et l'explication est…

L’explication réside dans le fait que les vagues ne sont pas de belles sinusoïdes parfaitement régulières qui se suivent indifféremment. Des effets non-linéaires, compris dans les équations complexes du mouvement des fluides, (les équations d’Euler, datant de 1755 !), viennent perturber leurs formes, leurs vitesses, et couplent l’énergie et la dynamique des vagues entre elles. Ils rendent aussi les calculs impossibles. C’est seulement aujourd’hui, avec l’utilisation de supercalculateurs suffisamment puissants que les chercheurs en viennent à bout, et ont découvert, non pas un, mais deux mécanismes à l’origine des vagues scélérates.

Le premier mécanisme amplifie le phénomène d’interférence constructive, avec des transferts d’énergie contribuant à élever localement la surface de la mer, créant une "infra-vague" qui vient encore s’ajouter à l’interférence constructive et provoquer l'apparition d'une vague scélérate.

Le second mécanisme est issu lui aussi d’un phénomène connu, "l’instabilité de modulation" qui vient du fait que, même dans une houle régulière, la vitesse des vagues se répartit entre différentes valeurs autour d’une moyenne. Suite à ce phénomène, au lieu de se suivre docilement comme des soldats lors d'une parade militaire, les vagues peuvent se rejoindre et former des "paquets" où elles s'additionnent et se renforcent mutuellement, et à certaines fréquences spécifiques, peuvent former une vagué scélérate.

Jean Etienne

Source principale :

La formation des vagues scélérates enfin comprise. Veille scientifique et technologique du Ministère de l'Europe et des Affaires Etrangères, 30 septembre 2019.  

 

 
Exemple de dégâts provoqués par la rencontre avec une vague scélérate. Ici, en 1974. Source inconnue.
 

 
 
 
 

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