Un peu d'Histoire, pour commencer…
En effet, à plusieurs reprises par le passé, nous avions pu avoir
l'impression que le progrès, dont l'aventure spatiale représentait
la figure de proue, bégayait. Il y eut d'abord le programme Apollo,
instigué par le Président Kennedy lors d'un célèbre discours
prononcé le 12 septembre 1962 à l'université Rice, à Houston, dans
lequel il promettait qu'un Américain poserait le pied sur la Lune
avant la fin des années 1960. Pari tenu avec le succès que l'on
sait… Puis abandonné dans l'incompréhension générale avant la fin du
programme, alors que plusieurs projets d'exploration lunaire
"post-Apollo" étaient déjà projetés.
Il y eut ensuite le programme des navettes
spatiales, lequel devait banaliser à moindre coût la liaison entre
la Terre et l'orbite basse, promettant un vol par semaine… Après une
moyenne de moins de 5 vols par an sur une période d'utilisation de
30 années et un coût d'exploitation plus de soixante fois supérieur
à celui annoncé lors de la présentation du projet au Congrès
américain, la NASA jette l'éponge en 2011.
Entre ces deux grands programmes avortés, on
peut apercevoir un point commun : la volonté politique. Apollo ne
reposait pas sur une base scientifique, on peut même affirmer qu'il
s'agissait d'un programme militaire. Alors que la guerre froide
battait son plein, le conflit se jouait aussi dans l'Espace, et
toutes les grandes premières soviétiques donnaient des cauchemars
aux Américains qui redoutaient de devoir s'endormir un jour sous une
lune désormais communiste… Une idée insupportable qui exigeait un
coup d'éclat, apporté sur le fil (croyait-on) par Apollo 11. Puis il
y eut Apollo 12 et l'incident de la caméra empêchant le monde
d'assister en direct à cette deuxième descente d'astronautes sur le
sol de notre satellite. Pas grave, mais on commençait à comprendre
que les accrocs, ça existe… Et suivit Apollo 13, qui faillit tourner
au drame avec l'explosion du module de service. Dès lors, la
question se posait : fallait-il prendre le risque de ruiner un
succès si durement acquis par un accident fatal ? Poser la question,
c'est y répondre. Le programme fut donc interrompu, les trois
dernières missions prévues passant à la trappe.
L'abandon du programme navettes découle d'une
autre cause. Présentée de manière assez floue d'un coût modique (un montant de dix millions
de dollars par vol a été évoqué au Congrès dans les années 70) et
sûre à 99,95%, on sait là aussi ce qu'il en a été : un minimum de
600 millions de dollars par mission, et la perte de deux navettes et
de leurs équipages en vol sur 135 missions. Du coup, la NASA jette
l'éponge en 2011. Il faut préciser que le projet initial, qui
prévoyait la satellisation de 10 tonnes en orbite basse, avait
entretemps été porté à 30 tonnes sur exigence de l'armée
américaine...
La conséquence est claire : les Etats-Unis
étaient désormais dans l'incapacité de lancer leurs astronautes par
leurs propres moyens dans l'Espace, et surtout vers une Station
Spatiale Internationale dont ils ont pourtant été les principaux
maîtres-d'œuvre. D'où appel à la Russie pour envoyer leurs hommes en
orbite, au moyen du vaisseau spatial russe Soyouz , lancé
au moyen de fusées du même nom, de conception ex-soviétique. Le
Soyouz compte trois sièges, qui se vendent chacun pour environ 80
millions de dollars (et en constante augmentation...).
Une situation qui ne pouvait durer…
Cette dépendance vis-à-vis de la Russie a
toujours été supposée être temporaire, une sorte de pause jusqu'à ce
que des véhicules privés américains deviennent disponibles. En 2014,
la NASA a signé des accords commerciaux avec deux sociétés
américaines : 2,6 milliards de dollars étaient attribués à SpaceX
pour développer Crew Dragon, tandis que Boeing recevait 4,2
milliards de dollars pour concevoir sa capsule CST-100 Starliner.
Pour un observateur extérieur non averti, une
telle attribution de contrats pouvait ressembler à un marché de
dupes, SpaceX, aux airs de start-up, contre Boeing, le géant
américain. David contre Goliath. Pourrait-on revivre l'épisode de la
petite bande d'amateurs de Microsoft déjouant les plans de la géante
IBM en imposant son système d'exploitation (le DOS) en 1981… et
faisant de Bill Gates l'homme le plus riche du monde ? Beaucoup en
ont douté...
Pourtant, le premier vol du vaisseau Crew
Dragon de SpaceX, lancé le 3 mars 2019 vers l'ISS, et sa
récupération six jours plus tard ont été un succès total, alors que
Boeing n'a pas encore résolu tous les problèmes (notamment
informatiques) de sa capsule CST-100 Starliner, qu'elle espère voir
décoller pour un premier test en juillet ou en août prochain. Et si
Crew Dragon ne transportait en guise de passagers qu'un mannequin
équipé de capteurs, cette réussite suggère que la première mise en
orbite d'un équipage humain par les Américains depuis le retrait des
navettes sera bien réalisée au moyen d'un vaisseau conçu et lancé par une
société privée (Starliner est lancé par une fusée Atlas 5 d'United
Launch Alliance).
Certes, il ne s'agit pas d'une compétition et
il est plus que probable que d'ici une année tout au plus, l'accès à
l'espace se fera à la fois par des vaisseaux Crew Dragon de SpaceX
et CST-100 Starliner de Boeing, auxquels le mérite revient à part
égale. Mais le fait que le premier acteur ait devancé le second dans
le temps ne démontre-t-il pas l'efficacité d'une société privée
dirigée par une seule personne face à la lourdeur d'une
multinationale lourdement hiérarchisée ? Rappelez-vous IBM et
Microsoft…
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