29 janvier 2019

 

L'étonnant chaos organisé des trous noirs

 
Lorsqu'une étoile super massive s'effondre sur elle-même, ou que deux étoiles à neutrons entrent en collision, un trou noir se crée en produisant une gigantesque bouffée de rayons gamma. L'analyse de ce rayonnement, et surtout de sa polarité, devait permettre de mieux cerner les processus mis en œuvre. Mais personne ne s'attendait à un tel résultat...

Ce phénomène, qui précède immédiatement la formation d'un trou noir, reste très mystérieux et oppose deux écoles. La première, qui réunissait le plus grand nombre de théoriciens jusqu'ici, considère que les photons qui constituent le sursaut gamma sont polarisés, oscillant dans une même direction sous l'effet d'un champ magnétique, dont l'orientation fournirait aux astronomes la possibilité de définir la géométrie et la teille du lieu de naissance du trou noir. La deuxième, au contraire, suggère que le précurseur du trou noir est chaotique et que les photons ne sont pas polarisés, oscillant dans n'importe quelle direction. Mais comment vérifier cela ?
 

 

 
Illustration de modèles de sursaut gamma. À gauche: Fusion de deux étoiles à neutrons (ou d'un trou noir et d'une étoile à neutrons) pour produire des ondes gravitationnelles. Droite : émission de rayons gamma. Crédit : Institut de physique des hautes énergies, Académie des Sciences chinoise.
 
L'intérêt d'une telle observation est énorme, car il englobe tous les plus grands mystères de la physique actuelle : ondes gravitationnelles, relativité générale, température et accélération de particules infiniment plus énergétiques que celles atteintes au Grand Collisionneur du CERN. C'est pourquoi des chercheurs de l'Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec l'Institut Paul Scherrer (PSI) de Villigen, l'Institut of High Energy Physics de Pékin et le Centre National de la recherche nucléaire de Swierk en Pologne, ont construit l'instrument POLAR, envoyé en 2016 sur le laboratoire spatial Chinois Tiangong-2, afin d'analyser les sursauts gamma.

Organisé ou chaotique ?

"Notre collaboration internationale a construit et envoyé dans l'espace le premier détecteur d'astroparticules POLAR, assez puissant pour mesurer la polarisation des sursauts gamma et tenter d'en découvrir la source", explique Xin Wu, professeur au Département de physique des particules de la Faculté des sciences de l'UNIGE. Son système de fonctionnement est simple. Il s'agit d'un carré de 50 x 50 cm2 constitué de 1600 barres de scintillateur qui permet de faire entrer en collision des photons avec des atomes. Lorsqu'un photon percute une barre en entrant dans POLAR, il expulse un deuxième photon qui provoque une autre collision visible. "Si les photons sont polarisés, nous observons une conformité de direction entre les deux impacts de photons", poursuit Nicolas Produit, chercheur au département d'astronomie de la Faculté des sciences de l'UNIGE. "Au contraire, s'il n'y a pas de polarisation, le second photon issu de la première collision partira dans n'importe quelle direction de manière totalement aléatoire."

De l'ordre naît le chaos

En six mois d'observation, POLAR a détecté 55 sursauts et les scientifiques ont analysé les oscillations des 5 sursauts les plus brillants. Et les résultats sont pour le moins surprenants. "Lorsqu'on analyse la polarisation d'un sursaut gamma dans son ensemble, nous constatons une polarisation très faible, ce qui favorise certaines théories", annonce Merlin Kole, chercheur au Département de physique des particules de la Faculté des sciences de l'UNIGE.

Mais face à ce premier résultat, les scientifiques se sont penchés plus en détail sur un sursaut gamma très puissant, qu'ils ont pu découper en tranches temporelles de deux secondes. Et là, surprise ! Non seulement les photons apparaissent très polarisés dans chaque tranche, mais en plus, chaque tranche oscille dans une direction différente ! Ce qui explique la vision globale du sursaut gamma très chaotique et peu polarisé. "Ceci démontre que dans le processus de création d'un trou noir, il y a des phases successives qui font évoluer la direction de polarisation dans différentes positions, mais nous ne savons pas encore pourquoi", continue Merlin Kole.

Ces premiers résultats confrontent les théoriciens à de nouveaux éléments qu'ils devront intégrer dans leurs projections, sévèrement remises en cause. "Nous voulons également construire un POLAR-2, plus grand et plus précis, afin de pouvoir encore creuser dans cette organisation chaotique des trous noirs, pour enfin découvrir leur source et éclaircir les mystères de cette physique très énergétique", explique Nicolas Produit.

Jean Etienne

Sources principales :

Detailed polarization measurements of the prompt emission of five gamma-ray bursts. Nature Astronomy, 14 janvier 2019.

In-orbit instrument performance study and calibration for POLAR polarization measurements. Nuclear Instruments and Methods in Physics Research Section A n° 900, 21 août 2018.
 

 

 
Polar, l'expérience dédiée à la polarimétrie gamma et aux rayons gamma, est fixée sur la station spatiale chinoise TiangGong-2 lancée le 15 septembre 2016. La lumière verte scintillante apparaît lorsqu'un photon gamma frappe l'une des 1600 barres de scintillation spécialement conçues à cet effet. Vue d'artiste basée sur une photo prise par une caméra située à plusieurs mètres derrière POLAR. Crédit : Institut de physique des hautes énergies, Académie des Sciences chinoise.
 
 
 

 
Intégration de l'instrument Polar sur la coque extérieure de la station spatiale chinoise TianGong-2.
Crédit : Institut de physique des hautes énergies, Académie des Sciences chinoise.
 

 

 
 
 

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