15 février 2019

 

Opportunity, c'est fini. Mais comment a-t-il pu durer aussi longtemps ?

 
Après s'être posé sur Mars le 25 janvier 2004, le robot Opportunity de la NASA, dont la durée de vie était estimée à 90 jours, a fonctionné durant plus de 14 ans, parcourant plus de 45 kilomètres et transmettant… 228.771 images. Mais d'où vient cette exceptionnelle longévité ?

Le valeureux rover de la taille d'une voiturette de golf n'était pas seul à la surface de la Planète rouge, car il a été précédé de quelques semaines par son frère jumeau, Spirit, qui lui, a terminé sa mission - et sa vie - enlisé dans un banc de sable en 2010. Opportunity a eu plus de chance… jusqu'à ce qu'une tempête de sable exceptionnelle recouvre ses panneaux solaires en 2018, l'empêchant de recharger ses batteries.
 

 

 
Opportunity sur Mars. Image composite réalisée au moyen de plusieurs vues prises depuis le bras robotique. Crédit : NASA.
 

La Nasa a bien tenté de faire revivre Opportunity (Oppy, pour les intimes) durant huit mois, espérant qu'il puisse retrouver quelque énergie, mais a fini par jeter l'éponge hier 13 février, déclarant officiellement la fin de la mission des deux robots Mars Exploration Rover (MER).

Selon John Callas, responsable du projet MER chez Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA à Pasadena en Californie, une combinaison de facteurs a permis aux deux engins de dépasser considérablement leur espérance de vie.

Le premier d'entre eux est le climat martien. Si l'équipe scientifique chargée de concevoir la mission avait planifié une durée de 90 jours, c'est parce qu'elle pensait qu'au bout de cette période, la poussière soulevée par les vents martiens aurait fini de recouvrir les panneaux solaires du duo, ce qui les aurait littéralement étouffés. Mais des vents violents ont régulièrement nettoyé les matrices de cellules solaires des deux robots avant qu'ils n'aient à affronter leur premier hiver martien.

"Ceci, sur un cycle saisonnier, est devenu assez fiable et nous a permis de survivre non seulement au premier hiver, mais également à tous les hivers que nous avons connus sur Mars et durant son l'exploration", a déclaré Callas lors d'une cérémonie au JPL annonçant la fin de la mission MER.
 

 

 
A gauche, l'état d'Opportunity après une tempête de poussière. A droite, le même, après "nettoyage" naturel par les vents martiens. Crédit : NASA. Cliquer sur l'image pour agrandir.
 

En outre, les rovers disposaient également "des meilleures batteries du système solaire", ajoute Callas. Car non seulement la batterie principale d'Opportunity a résisté à plus de 5000 cycles charge-décharge, mais il lui restait encore environ 85% de sa capacité lorsque la tempête de poussière qui a mis fin à la mission a frappé, a-t-il ajouté. Ensemble, les vents anti-poussière et les batteries "nous ont permis d'avoir l'énergie critique dont nous avions besoin pour traverser les périodes hivernales les plus sombres sur Mars pour continuer notre exploration", a déclaré Callas.

Bien entendu, la technologie de pointe utilisée ne se limitait pas aux batteries. Tous les organes de Spirit et Opportunity, depuis les ordinateurs embarqués jusqu'aux roues à "griffes" en passant par leurs instruments scientifiques, avaient été conçus pour durer. Et ils l'ont fait pendant un temps impressionnant, dans un monde froid, sec et soumis à des radiations, à des millions de kilomètres de la Terre.

Les responsables des rovers ont également eu beaucoup de mérite dans cette aventure, ont souligné les responsables de la NASA. Spirit et Opportunity se sont toutes deux retrouvées dans des situations délicates qui ont nécessité de la créativité, de la détermination et de longues heures à solutionner des problèmes délicats. En 2005, par exemple, Opportunity s’est retrouvée enlisée une première fois dans le sable mou d’une formation que l’équipe de la mission a fort opportunément surnommée Purgatory Dune. Les manutentionnaires d'Oppy ont alors testé une foule de solutions dans un "bac à sable" spécialement conçu pour simuler la surface martienne, et ont réussi à extraire le rover après plusieurs semaines de stress.
 

 

 
L'équipe en charge de la sécurité d'Opportunity (et de Spirit) à l'oeuvre dans le "bac à sable", simulant la "Dune du Purgatoire". Crédit : NASA. Cliquer sur l'image pour agrandir.
 

En outre, l’équipe a souvent manœuvré afin qu'Opportunity privilégie la marche arrière, afin de prolonger la durée de vie opérationnelle de sa roue avant droite, qui tirait parfois plus que sa part de courant électrique. "Nous avons réellement innové dans la résolution de problèmes et dans la recherche de moyens pour que ce rover fonctionne et pour qu'il reste productif afin de poursuivre cette exploration et les découvertes scientifiques", déclare Callas.

Le piège...

Malgré toutes ces précautions et toute cette inventivité, Spirit s'est fait piéger en 2009 dans une zone de sable mou impossible à prévoir. L'équipe de scientifiques a bien tenté à de nombreuses reprises de le libérer, mais les images prises au ras du sol ont montré que l'engin reposait de surcroît en équilibre précaire sur un rocher pointu, et le robot s'est vu contraint de subir un hiver rigoureux sans la capacité de se réorienter afin d'exposer ses panneaux solaires dans la direction la plus favorable à la recharge des batteries. Spirit, qui a communiqué avec la Terre pour la dernière fois en 2010, a été officiellement déclaré mort en 2011.

Quant à Opportunity, qui avait pourtant démontré sa capacité à résister à plusieurs tempêtes de sable, celle de 2018, particulièrement exceptionnelle, lui a été fatale et surtout bien trop longue, ses batteries n'ayant jamais eu le temps de se recharger.

Le petit détait qui tue...

Curieusement, Opportunity aurait peut-être pu résister à celle-ci également, si ce n'est un problème survenu juste après l'atterrissage de 2004, dont on a peu parlé. En effet, le bras robotique de l'engin comporte plusieurs points d'articulation dont les mécanismes sont susceptibles de "gripper" du fait des basses températures à la surface de la Planète rouge. Aussi, ceux-ci sont munis de réchauffeurs intervenant en cas de besoin. Or, il avait été constaté que l'un d'eux restait obstinément sur la position "on". Aussi, les préposés à la maintenance du robot avaient-ils décidé de tout stopper sur le rover durant chaque nuit, y compris ses chauffages de survie, pour éviter que ce réchauffeur ne prélève une partie importante de l'énergie accumulée dans ses batteries.

"Le rover aurait froid, mais il resterait juste assez chaud pour que, le matin, lorsque le soleil se lève et que nous remettions tout en marche, il ne descende jamais en dessous des températures autorisées", a déclaré Callas à propos de cette stratégie de "sommeil profond", ajoutant que si l'équipe n'avait pas pris cette mesure, Opportunity n'aurait probablement pas duré beaucoup plus que les 90 jours prévus à l'origine.

Cependant, le destin a fini par frapper… Lorsqu'Opportunity a subi la tempête de 2018, la charge de ses batteries est tombée beaucoup plus bas que précédemment, ce qui a vraisemblablement altéré le fonctionnement de son horloge interne. Et finalement, le rover était incapable de savoir quand entrer en mode de sommeil profond. "Donc, il ne dormait probablement pas la nuit quand il le fallait, et cet appareil de chauffage restant enclenché en permanence drainait toute l'énergie que les panneaux solaires accumulaient en tentant de charger les batteries", ajoute Callas.

Quelles que soient les raisons de la fin de leur mission, Spirit et Opportunity sont tous deux morts honorablement sur la planète rouge, a déclaré Steve Squyres, enquêteur scientifique principal de MER, à la Cornell University de New York. Et les contributions scientifiques de la mission sont immenses. Les deux rovers ont apporté de nombreuses preuves que la surface martienne était humide il y a des milliards d'années, ce qui a profondément modifié notre compréhension de l'évolution de la planète et de son potentiel à engendrer la vie dans son passé. En effet, Spirit a même découvert un ancien système hydrothermal, montrant qu'au moins certaines parties de la planète rouge contenaient à la fois de l'eau liquide et une source d'énergie, deux exigences de la vie telle que nous la connaissons.

Jean Etienne

Sources principales :

More Than 835 Recovery Commands Have Been Sent To Opportunity. NASA.
Opportunity Updates. NASA Exploration Rovers.
NASA's Opportunity Rover Mission on Mars Comes to End. Jet Propulsion Laboratory (JPL).
 

 

 
Images côte à côte du rover Opportunity lors de son atterrissage sur Mars en 2004 (à gauche) et dix ans plus tard en 2014 (à droite). Crédit : NASA.
 
 
 

 
Opportunity, ici rétracté et en position d'intégration dans son lanceur, en 2003. Crédit : NASA.
 
 
 

 
L'étage inférieur d'Opportunity après son atterrissage en 2004, photographié depuis le robot qui vient de s'en dégager. Crédit : NASA.
 
 
 

 
Opportunity a utilisé sa caméra panoramique pour enregistrer cette vue depuis le rebord est du cratère Endeavour lors de son 2407ème jour martien, ou sol, soit le 31 octobre 2010. La vue est présentée en fausses couleurs afin de mieux différencier les matériaux de surface. Les scientifiques de la NASA ont ainsi découvert des minéraux comme la jarosite et l'hématite, qui apparaissent dans des environnements humides. Crédit : NASA / JPL-Caltech / Cornell
 

 

 
 
 

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