Pourquoi la moelle a-t-elle précédé la
viande ?
Bien que faire précéder la consommation de
viande par le goût pour le gras puisse paraître une distinction de
peu d'importance, la différence est significative. En effet, les
nutriments extérieurs aux os (par exemple, la viande) et les
nutriments internes aux os (comme la moelle et le cerveau) ont des
caractéristiques différentes en ce qui concerne les macronutriments
(protéines ou matières grasses), et les technologies nécessaires
pour y arriver sont aussi très différentes. En effet, si la consommation de viande
est traditionnellement associée à la fabrication d’outils tranchants
en pierre, pour obtenir une moelle riche en graisse, il
suffisait de briser des os avec une pierre, remarque Jessica
Thompson.
Un paradigme centré sur l'importance de la viande
dans l'évolution humaine avait émis l'hypothèse qu'une population de
singes avait commencé à chasser et à manger plus activement le petit
gibier, ce qui avait formé un tremplin évolutif pour le comportement
humain de la chasse aux grands animaux, la stratégie alors
nécessaire ayant favorisé le développement du cerveau. Or, Jessica
Thompson et son équipe soutiennent que cette théorie n'a aucun sens
nutritionnel, car la viande des animaux sauvages est maigre, et
métaboliser les protéines maigres nécessite plus de travail que
l'organisme n'en récupère.
Selon les auteurs de l'étude, l'envie de
moelle osseuse aurait pu alimenter non seulement la taille
croissante du cerveau, mais aussi la quête d'aller au-delà de la
destruction des os avec des rochers, aboutissant à la fabrication
d'outils plus sophistiqués pour chasser les gros animaux. "C'est
ainsi que toutes les technologies sont nées : prendre ne chose et
l'utiliser pour fabriquer quelque chose d'autre. Nous ne faisons pas
autrement lorsque nous fabriquons un iPhone", déclare Jessica
Thompson.
A l'origine, un bilan énergétique négatif
Le cerveau humain consomme 20% de l'énergie du
corps au repos, soit le double de celle des autres primates, presque
tous végétariens. Jusqu'ici, les scientifiques avaient du mal à
comprendre comment nos ancêtres humains avaient répondu aux besoins
caloriques pour développer et entretenir des cerveaux plus
volumineux. En effet, manger de la viande maigre sans une
bonne source de graisse peut entraîner un empoisonnement aux
protéines et une malnutrition aiguë. Les premiers explorateurs de
l'Arctique, qui avaient tenté de survivre en ne s'alimentant que de
viande de lapin, avaient qualifié cette condition de "famine du
lapin".
Ce besoin inassouvi de protéines, associé à
l'énergie nécessaire à un singe dressé sur ses pattes et dont les
mâchoires ne comportaient que de petites canines ne permettant que
de capturer et manger de petits animaux, semblait exclure la
possibilité de manger suffisamment de viande comme moyen de
favoriser la croissance du cerveau, déclare Thompson, qui présente
cette nouvelle hypothèse, ancrée durant le Pliocène, voici quelque 4
millions d'années.
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