16 décembre 2018

 

L'éternelle menace d'une éruption volcanique sur le continent européen

 
Quel serait l'impact d'une éruption volcanique majeure sur le continent européen ? Pour l'évaluer, une équipe de recherche pluridisciplinaire a reconstitué l'histoire et les effets d'un évènement similaire survenu il y a seulement 235 ans, parfaitement susceptible de se reproduire aujourd'hui.

Il est acquis que le volcanisme est, et sera toujours une menace potentielle pour l'ensemble de l'Europe. Afin d'y faire face, il est indispensable de se référer à la mémoire du passé et d'en tirer parti pour mieux en anticiper les conséquences. C'est à cette tâche que se sont attelés des chercheurs de disciplines variées telles la géochimie, l'histoire, la météorologie et la climatologie venant de France, de Norvège et de Chine, en étudiant le volcan islandais Laki, entré en éruption en 1783.

Cet évènement particulier a été choisi en raison de l'abondante documentation d'époque encore disponible dans les archives, permettant, en recourant à des modèles de transport chimique par les courants aériens, de mieux comprendre l'impact sanitaire d'une pollution par des particules dans une perspective contemporaine. L'étude, publiée dans la revue Nature Communications, s'intéresse à la mortalité induite par les particules fines émises lors des nombreuses éruptions qui l'affectèrent.
 

 

 
Cratères volcaniques de la chaîne du Laki, en Islande. Source : commons.
 

Le 8 juin 1783, une large faille de 25 kilomètres de longueur s'ouvre dans la région de Sida, dans le sud de l'Islande, formant une suite de 130 cratères dont l'activité se maintiendra jusqu'en février 1784. Cette catastrophe naturelle entraîne la perte de 80 % du cheptel ovin, 50 % des bovins et 50 % des chevaux par fluorose dentaire ou osseuse, conséquence des 8 millions de tonnes d'acide fluorhydrique rejetés. Pour la population humaine l'effet est terrible, puisque 21 % des Islandais mourront de famine dans l'année.

Durant les deux premières journées d'éruption, le Laki libère la même quantité de gaz que la totalité de l'industrie européenne d'aujourd'hui en une année, et en quelques heures, donne naissance à un immense nuage de pluies acides qui s'abattent sur les côtes méridionales de l'Islande, puis sur l'Europe et sur une partie de l'hémisphère nord. A la différence d'autres éruptions tout aussi puissantes comme celle de l'Eyjafjöll au printemps 2010, le Laki projeta les trois quarts de ses gaz dans la troposphère, soit la couche inférieure de l'atmosphère, où circulent justement les nuages, les pluies et les vents de surface, contribuant à les répandre.

Aujourd'hui, les scientifiques estiment que 122 millions de tonnes de dioxyde sulfurique ont été émis dans l'atmosphère, soit l'équivalent du Pinatubo tous les trois jours. En temps normal, les vents dominants auraient dû repousser ce nuage toxique en direction du nord, malheureusement la météorologie n'est pas une constante, et en ce mois du juin 1783, ce fut l'inverse qui se produit…

Les conséquences de l'évènement furent observées et décrites un peu partout en Europe dans de nombreux rapports scientifiques, qui montrent que l'été 1783 fut particulièrement anormal. Un peu partout, les témoins de l'époque citent, à partir de mi-juin, la présence d'un épais brouillard sec à l'odeur "d'œuf pourri" ou de soufre et évoquent une visibilité extrêmement limitée qui persiste parfois jusqu'au mois de septembre. La température relevée est en moyenne supérieure de 1 à 3°C supérieure à la moyenne enregistrée durant la période 1970-2000. Par ailleurs, l'étude met en corrélation l'itinéraire du nuage chargé de dioxyde de soufre à travers l'Europe avec le pic de mortalité observé dans les registres paroissiaux entre août-septembre et janvier-février 1784.

Un évènement qui pourrait se reproduire demain, dans dix ans, dans un siècle...

Jean Etienne

Source principale :

Mortality induced by PM2.5 exposure following the 1783 Laki eruption using reconstructed meteorological fields. Y. Balkanski, L. Menut, E. Garnier, R. Wang, N. Evangeliou, S. Jourdain, C. Eschstruth, M. Vrac & P. Yiou. Scientific Reports volume 8, Article number: 15896 (2018). 

 

 
Extrait du Cambridge Chronicle and Journal du 12 juin 1783 évoquant l'observation d'un épais brouillard sec (thick dry fog) à l'odeur "infectieuse" répandu sur toute l'Europe. Crédit : CNRS.
 
 
 

 
Extrait du journal du lieutenant de police Dorival en date des 29 et 30 juin 1783 et qui déclare: "Le soir le soleil à l'horizon paroissoit rouge, comme quand on le regarde à travers un verre enfumé. On m'écrit depuis Paris que nous sommes environnés d'un brouillard si épais que le soleil ne peut le percer". Crédit : CNRS.
 

 

 
 
 

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