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Martin Schlaepfer |
Cela pour les espèces volontairement introduites. Mais d'autres, et
pas seulement végétales, s'invitent à notre insu, à l'image du
frelon asiatique, la pyrale des buis… et de nombreux oiseaux, mais
pas que. Pourtant, bien que jouant un rôle important sur l'évolution
de la biodiversité, ces espèces introduites sont ignorées par les
spécialistes, faussant en partie les rapports internationaux sur la
nature. Cette étude de l'Université de Genève (UNIGE), publiée dans
la revue PLOS Biology, préconise de prendre en compte l'apport tant
positif que négatif de ces espèces, afin d'offrir aux citoyens
l'image véritable de la nature qui les entoure et de son évolution.
Pourtant, les nombreux rapports sur l'état actuel de la biodiversité
se fondent sur plusieurs indicateurs qui ne prennent en compte que
les espèces indigènes, c’est-à-dire strictement d' "origine" pour
chaque région.
La peur pathologique de l' "envahisseur"
En premier lieu, il paraît important pour les biologistes de
préserver chaque région au plus près de son état d'origine, dans le
but de marquer les différences entre les biotopes et de les protéger
au mieux. Ensuite, les espèces introduites sont assimilées aux
espèces envahissantes, néfastes pour la biodiversité d'origine qui
se fait progressivement "manger" par les espèces nouvelles.
"Pourtant, environ 88 % des espèces introduites en Europe ne sont
pas problématiques", annonce Martin Schlaepfer, qui ajoute que
"parmi celles qui posent problème, on ne regarde en général que
leurs défauts, sans prendre en compte les aspects positifs qu'elles
peuvent aussi générer". Par exemple, la solidage géante (Solidago
gigantea) est une espèce de plante introduite provenant d'Amérique
du Nord. En Suisse, elle est considérée comme envahissante, car elle
peut dominer des milieux en bordure de champs agricoles. Pourtant,
en plus de posséder des propriétés médicinales, elle permet des
interactions biologiques intéressantes avec des pollinisateurs. De
même, les écrevisses américaines, invasives dans les lacs,
constituent une ressource alimentaire importante pour les
restaurateurs…
Des rapports pertinents pour les politiques et les citoyens
En omettant volontairement les espèces introduites, les rapports sur
la biodiversité ne reflètent plus exactement la nature telle qu'elle
est réellement. Par exemple, le blé et le maïs ayant été introduits
ne sont pas pris en compte dans la biodiversité suisse, bien que
faisant partie intégrante des paysages helvétiques. "Si l'on se
penche sur les arbres, les rapports du Canton de Genève mentionnent
88 espèces différentes, toutes indigènes. Or, il y a 597 autres
espèces d'arbres dans le canton !", s'exclame Martin Schlaepfer.
Toute une partie de la nature qui entoure les citoyens suisses est
ainsi volontairement omise des index et des lois sur la protection
de la biodiversité. "Si l'on veut rester pertinent pour les
institutions politiques, il faut à présent prendre en compte la
nature dans son ensemble", insiste le biologiste de l'UNIGE. Mais
quel en serait l'impact sur les résultats des rapports ?
Les limites planétaires
En 2012, le Groupe de haut niveau sur la durabilité mondiale a
rédigé un rapport validé par les Nations Unies qui relève douze
indicateurs pour mesurer les limites planétaires, c'est-à-dire les
limites que l'homme ne doit pas dépasser pour que la vie puisse
perdurer sur Terre. L'un de ces indicateurs est la biodiversité. Les
biologistes observent la part des espèces originelles présentes dans
une région. Si la moyenne des effectifs de ces espèces baisse de
plus de 10%, les experts considèrent que la nature a trop été
altérée et que le bien-être des générations futures est en danger.
"Mais dans ce rapport, on ne tient pas compte des bienfaits
qu'apportent également les espèces qui n'étaient pas présentes à
l'origine, qui interagissent pourtant constamment avec la
biodiversité indigène et qui contribuent à des services utiles",
relève Martin Schlaepfer. "Si on le faisait, le pourcentage de la
surface de terre considéré comme étant en mauvaise état passerait de
58 % à 48 %, abaissant le degré de gravité de l'impact de l'homme sur
la nature".
Considérer toutes les espèces de la nature pour suivre son
évolution
L'étude de Martin Schlaepfer est ainsi une remise en question des
indicateurs qui servent de base aux rapports internationaux sur la
biodiversité. "Afin de comprendre la nature et ses liens avec le
bien-être de l'homme, chaque espèce doit être évaluée à sa juste
valeur, car toutes sont en interaction avec les humains et font
partie de la réalité de l'évolution de la biodiversité",
souligne-t-il. De plus, les espèces introduites peuvent également
être majoritaires, principalement en milieu urbain. "Les arbres
remarquables sont souvent des espèces introduites et illustrent
pourquoi il faut prendre en compte les aspects positifs de ces
espèces qui contribuent au bien-être de l'homme, même si celles-ci
contredisent les valeurs de certains biologistes", conclut-il.
Jean Etienne
Sources principales :
Do non-native species contribute to biodiversity ? Plos
Biology, 17 avril 2018.
Introduced species overlooked in biodiversity reporting.
Université de Genève.
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