28 mai 2018

 

En biodiversité, les scientifiques ont tout faux !

 
Alors que le principe de biodiversité revêt une importance capitale dans la préservation de la nature, un chercheur de l'Université de Genève révèle que la plupart des scientifiques ont tout faux !

Très logiquement, la protection de la biodiversité est intimement liée à la protection des espèces et des milieux indigènes, propres à chaque région du monde, dans le but de protéger l'authenticité des paysages et l'écosystème terrestre. Mais les indicateurs des biologistes, responsables de cette protection, se fondent ainsi exclusivement sur les espèces d'origine, ignorant la présence des espèces introduites. Avec un effet pervers, selon Martin Schlaepfer, chercheur à l'Institut des sciences de l'environnement (ISE) de l'Université de Genève (UNIGE) : une partie importante de la nature est ainsi volontairement ignorée, biaisant les rapports internationaux.

Citons les plantes cultivées en Europe centrale comme exemple… Tout le monde sait que la pomme de terre provient de territoires lointains, en particulier du Pérou. L'ail vient d'Asie, surtout d'Afghanistan. Les courgettes viennent du Mexique, comme la citrouille, tandis que le concombre est originaire de l'Himalaya. L'aubergine est indienne, et les poivrons mexicains, tandis que la tomate est, elle aussi, mexicaine. Pêchers et abricotiers viennent d'Asie centrale, les poiriers sont Perses, tout comme le cognassier; le figuier : Turquie, Irak. Le noyer : montagnes du Sud-ouest chinois. Le noisetier : Balkans et rives de la Caspienne. La rhubarbe vient de Chine et tous les agrumes sont originaires du sud-est asiatique… La grosse fraise de jardin n'a aucun rapport avec la fraise sauvage européenne et vient d'Amérique. Et que reste-t-il comme plantes originaires d'Europe ? Eh bien le thym, les cerises bigarreaux (mais pas les griottes qui sont asiatiques), certains pruniers et la salade. Et c'est à peu près tout.
 

Martin Schlaepfer

Cela pour les espèces volontairement introduites. Mais d'autres, et pas seulement végétales, s'invitent à notre insu, à l'image du frelon asiatique, la pyrale des buis… et de nombreux oiseaux, mais pas que. Pourtant, bien que jouant un rôle important sur l'évolution de la biodiversité, ces espèces introduites sont ignorées par les spécialistes, faussant en partie les rapports internationaux sur la nature. Cette étude de l'Université de Genève (UNIGE), publiée dans la revue PLOS Biology, préconise de prendre en compte l'apport tant positif que négatif de ces espèces, afin d'offrir aux citoyens l'image véritable de la nature qui les entoure et de son évolution.

Pourtant, les nombreux rapports sur l'état actuel de la biodiversité se fondent sur plusieurs indicateurs qui ne prennent en compte que les espèces indigènes, c’est-à-dire strictement d' "origine" pour chaque région.

La peur pathologique de l' "envahisseur"

En premier lieu, il paraît important pour les biologistes de préserver chaque région au plus près de son état d'origine, dans le but de marquer les différences entre les biotopes et de les protéger au mieux. Ensuite, les espèces introduites sont assimilées aux espèces envahissantes, néfastes pour la biodiversité d'origine qui se fait progressivement "manger" par les espèces nouvelles. "Pourtant, environ 88 % des espèces introduites en Europe ne sont pas problématiques", annonce Martin Schlaepfer, qui ajoute que "parmi celles qui posent problème, on ne regarde en général que leurs défauts, sans prendre en compte les aspects positifs qu'elles peuvent aussi générer". Par exemple, la solidage géante (Solidago gigantea) est une espèce de plante introduite provenant d'Amérique du Nord. En Suisse, elle est considérée comme envahissante, car elle peut dominer des milieux en bordure de champs agricoles. Pourtant, en plus de posséder des propriétés médicinales, elle permet des interactions biologiques intéressantes avec des pollinisateurs. De même, les écrevisses américaines, invasives dans les lacs, constituent une ressource alimentaire importante pour les restaurateurs…

Des rapports pertinents pour les politiques et les citoyens

En omettant volontairement les espèces introduites, les rapports sur la biodiversité ne reflètent plus exactement la nature telle qu'elle est réellement. Par exemple, le blé et le maïs ayant été introduits ne sont pas pris en compte dans la biodiversité suisse, bien que faisant partie intégrante des paysages helvétiques. "Si l'on se penche sur les arbres, les rapports du Canton de Genève mentionnent 88 espèces différentes, toutes indigènes. Or, il y a 597 autres espèces d'arbres dans le canton !", s'exclame Martin Schlaepfer. Toute une partie de la nature qui entoure les citoyens suisses est ainsi volontairement omise des index et des lois sur la protection de la biodiversité. "Si l'on veut rester pertinent pour les institutions politiques, il faut à présent prendre en compte la nature dans son ensemble", insiste le biologiste de l'UNIGE. Mais quel en serait l'impact sur les résultats des rapports ?

Les limites planétaires

En 2012, le Groupe de haut niveau sur la durabilité mondiale a rédigé un rapport validé par les Nations Unies qui relève douze indicateurs pour mesurer les limites planétaires, c'est-à-dire les limites que l'homme ne doit pas dépasser pour que la vie puisse perdurer sur Terre. L'un de ces indicateurs est la biodiversité. Les biologistes observent la part des espèces originelles présentes dans une région. Si la moyenne des effectifs de ces espèces baisse de plus de 10%, les experts considèrent que la nature a trop été altérée et que le bien-être des générations futures est en danger.

"Mais dans ce rapport, on ne tient pas compte des bienfaits qu'apportent également les espèces qui n'étaient pas présentes à l'origine, qui interagissent pourtant constamment avec la biodiversité indigène et qui contribuent à des services utiles", relève Martin Schlaepfer. "Si on le faisait, le pourcentage de la surface de terre considéré comme étant en mauvaise état passerait de 58 % à 48 %, abaissant le degré de gravité de l'impact de l'homme sur la nature".

Considérer toutes les espèces de la nature pour suivre son évolution

L'étude de Martin Schlaepfer est ainsi une remise en question des indicateurs qui servent de base aux rapports internationaux sur la biodiversité. "Afin de comprendre la nature et ses liens avec le bien-être de l'homme, chaque espèce doit être évaluée à sa juste valeur, car toutes sont en interaction avec les humains et font partie de la réalité de l'évolution de la biodiversité", souligne-t-il. De plus, les espèces introduites peuvent également être majoritaires, principalement en milieu urbain. "Les arbres remarquables sont souvent des espèces introduites et illustrent pourquoi il faut prendre en compte les aspects positifs de ces espèces qui contribuent au bien-être de l'homme, même si celles-ci contredisent les valeurs de certains biologistes", conclut-il.

Jean Etienne

Sources principales :

Do non-native species contribute to biodiversity ? Plos Biology, 17 avril 2018.

Introduced species overlooked in biodiversity reporting. Université de Genève.

 
 
 
La solidage géante (Solidago gigantea), classée comme espèce envahissante, et pourtant très utile comme de nombreuses autres plantes importées. Crédit Université de Genève.
 

 

 
 
 

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