23 juin 2018

 

La matière "ordinaire" manquante de l'Univers définitivement identifiée

 
La dernière pièce du puzzle vient de tomber. Jusqu'ici, environ 30 % de la matière observable de l'Univers - on ne parle pas ici de matière noire - échappait à l'observation. Une équipe internationale d'astronomes vient de l'identifier et de déterminer sa répartition.

Il est établi depuis de nombreuses années déjà que la quantité observée de matière baryonique, c’est-à-dire directement visible dans l'Univers, est de l'ordre des deux tiers de la quantité totale prédite par la nucléosynthèse du Big Bang, comme déduit des fluctuations de la densité du fond cosmologique constatée dans l'analyse des raies d'absorption de la "forêt Lyman-α".
 
 
La "forêt Lyman-α" désigne l'ensemble des structures observées dans les spectres des galaxies et quasars lointains, dues à l'absorption par le milieu intergalactique d'une partie de la lumière émise par ces objets. Les photons absorbés sont ceux qui permettent une transition entre différents états excités de l'hydrogène neutre (non ionisé), partant de son état fondamental, ce qui correspond en spectroscopie à ce que l'on appelle la série de Lyman. En pratique, c'est surtout la transition vers le premier état excité qui est observée, ce qui correspond à la raie Lyman-α. Les spectres révèlent une abondance très élevée de ces raies d'absorption, correspondant à des absorbeurs répartis à différentes distances sur la ligne de visée, d'où le terme de "forêt".
 

Une nouvelle recherche, conduite par Fabrizio Nicastro, astrophysicien à l'Osservatorio Astronomico de Rome et au Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, vient de permettre la découverte et la localisation du dernier réservoir de cette matière qui se cachait encore dans l'Univers.

Cette matière énigmatique est répandue sous la forme de filaments d'oxygène gazeux à une température d'environ un million de degrés formant un réseau intergalactique, annonce le professeur Michael Shull du Département des sciences astrophysiques et planétaires (APS) de l'Université du Colorado de Boulder, co-auteur de l'étude parue dans Nature du 20 juin 2018.

Une découverte majeure pour l'astrophysique

La découverte est une étape majeure pour l'astrophysique. "C'est l'un des principaux piliers de la théorie du Big Bang : déterminer le recensement baryonique de l'hydrogène, de l'hélium et tous les autres éléments composant le tableau périodique", annonce Michael Shull.
 

Michael Shull

Les scientifiques avaient déjà une petite idée de l'endroit où chercher cette matière baryonique manquante (à ne pas confondre toutefois avec la matière noire, qui n'a pas encore été localisée et dont 10 % devrait se trouver dans les galaxies et 60 % dans l'espace intergalactique). En 2012 déjà, lors d'une précédente étude, Shull et ses collègues avaient pressenti que celle-ci était probablement distribuée dans le milieu intergalactique sous la forme d'un gaz chaud (WHIM, ou warm-hot intergalactic medium).

Mais il manquait l'observation. Pour cela, les chercheurs ont orienté le spectrographe Cosmic Origins du télescope spatial Hubble vers le quasar 1ES 1553, un trou noir situé au centre d'une galaxie d'où jaillissent d'énormes quantités de gaz. "Il s'agit essentiellement d'un phare très lumineux dans l'espace", a déclaré Shull. Les scientifiques peuvent en effet recueillir beaucoup d'informations en observant les modifications spectrographiques subies par le rayonnement d'un quasar traversant l'espace, un peu comme la lumière d'un phare peut paraître altérée à travers le brouillard. Ensuite, ils ont utilisé le satellite XMM-Newton (X-Ray Multi-Mirror Mission) de l'Agence Spatiale Européenne.

L'équipe a ainsi pu mettre en évidence les signatures spectroscopiques d'un type d'oxygène gazeux hautement ionisé situé entre le quasar et notre système solaire, et cela à une densité suffisamment élevée pour être extrapolée à l'univers entier, représentant les 30 % de matière ordinaire manquant à l'observation.

Shull et ses collègues soupçonnent que les galaxies et les quasars ont "soufflé" ce gaz dans l'espace profond durant des milliards d'années. Il ajoute que cette découverte devra encore être renforcée en pointant d'autres satellites vers des quasars encore plus brillants.

Jean Etienne

Source principale :

Observations of the missing baryons in the warm–hot intergalactic medium, Naturevolume 558, pages406–409 (20 juin 2018).

 
 
 
Représentation artistique du milieu intergalactique chaud, un mélange de gaz à des températures allant de centaines de milliers de degrés à des millions de degrés qui imprègne l'univers dans une structure similaire à une toile filamenteuse. Crédits pour illustration et composition : ESA / ATG medialab; données: ESA / XMM-Newton / F. Nicastro et al. 2018; simulation cosmologique: R. Cen. Cliquer sur l'image pour agrandir.
 

 

 
 
 

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