Des patients incapables de produire le moindre
mouvement, y compris oculaire, ont pu communiquer grâce à une
nouvelle interface reliant directement leur cerveau à un ordinateur
capable de déchiffrer leurs pensées. Et contre toute attente, ces
personnes ont affirmé être "heureuses" malgré leur terrible
handicap.
Le "locked-in syndrome", qui est également connu sous le nom de
syndrome de déefférentation motrice, syndrome d'enfermement, ou
encore de syndrome de verrouillage), est un état neurologique rare
dans lequel le patient est éveillé et totalement conscient. Il voit
tout, il entend tout, mais est incapable du moindre mouvement
volontaire. Il ne peut donc ni bouger ni parler, mais les facultés
cognitives du sujet sont en revanche intactes. Cet état résulte
généralement d'une atteinte du tronc cérébral ou à accident
vasculaire cérébral.
Cependant, les patients atteints de ce syndrome sont pleinement
conscients de leur corps et de leur environnement. Bien que n'ayant
pas ou peu de contrôle sur leurs membres, ils peuvent les situer
avec exactitude dans l'espace, et contrairement aux patients
paralysés à la suite d'une atteinte de la moelle épinière,
ressentent encore le toucher et la douleur.
Communication établie !
Dans l'étude qui vient d'être publiée, des personnes atteintes de
locked-in syndrome complet, qui n'étaient pas capables de bouger
leurs yeux pour communiquer, ont pu répondre "oui" ou "non" par la
pensée à des questions qui leur étaient posées verbalement. Une
interface cerveau-ordinateur non invasive a détecté leurs réponses
en mesurant les changements des concentrations d'oxygène dans le
sang au niveau cérébral.
Eh non, ce ne sont pas des plantes !
Ces résultats démentent formellement l'avis de certains
spécialistes, qui estimaient que ces patients ne possédaient pas la
capacité de pensée nécessaire pour utiliser une interface
cerveau-ordinateur, et auraient été, dès lors, incapables de
communiquer.
Les individus dont la conscience
et la cognition sont intactes mais qui souffrent d'une
paralysie complète à l'exception des mouvements oculaires
verticaux et du clignement des yeux sont classés dans la
catégorie du locked-in syndrome. En cas de perte de tout
mouvement oculaire, l'affection est qualifiée de locked-in
syndrome complet, dont il est question dans cet article. |
Des investigations approfondies ont été menées
auprès de quatre personnes atteintes de SLA (sclérose latérale
amyotrophique), ou maladie de Charcot, une maladie progressive des
motoneurones provoquant la destruction complète de la partie du
système nerveux responsable du mouvement.
Les chercheurs ont posé des questions personnelles dont les réponses
étaient précédemment connues et des questions ouvertes nécessitant
une réponse par "oui" ou "non", comme :
"Votre mari s'appelle-t-il Joachim ?" et "Etes-vous
heureux ?". Un taux de réussite de sept sur dix à ces questions
basiques a confirmé la validité de la procédure.
Le professeur Niels Birbaumer, neuroscientifique au
Wyss Center for
Bio and Neuroengineering de Genève (Suisse), un des auteurs
de l'article, a déclaré: "Ces résultats impressionnants démentent ma
propre théorie selon laquelle les personnes atteintes d'un locked-in
syndrome complet sont incapables de communiquer. Nous avons
découvert que l'ensemble les quatre sujets testés étaient en mesure
de répondre aux questions personnelles que nous leur avons posées en
utilisant uniquement leurs pensées. Si nous parvenions à reproduire
cette étude auprès d'un plus grand nombre de patients, je pense que
nous pourrions rétablir une communication utile dans les états de
locked-in syndrome complet pour les personnes atteintes de maladies
des motoneurones".
Et ils sont heureux !
A la question "Etes-vous heureux ? ", les quatre sujets ont
constamment répondu "oui", et ce de manière répétée au
cours des semaines d'interrogation, un résultat qui ne sera
certainement pas sans conséquence sur le plan moral autant
qu'éthique.
Le professeur Birbaumer ajoute : "Nous étions initialement surpris
des réponses positives lorsque nous avons interrogé les quatre
participants atteints de locked-in syndrome complet sur leur qualité
de vie. Ils avaient tous les quatre accepté la ventilation
artificielle afin d'être maintenus en vie une fois la respiration
devenue impossible donc, d'une certaine manière, ils avaient déjà
décidé de vivre. Nous avons observé que, tant qu'ils recevaient des
soins satisfaisants à domicile, ils jugeaient leur qualité de vie
acceptable. Ainsi, si nous pouvions rendre cette technique largement
disponible dans la pratique clinique, cela aurait un impact
considérable sur la vie quotidienne des personnes atteintes de
locked-in syndrome complet".
Le professeur John Donoghue, directeur du Wyss Center déjà cité, annonce :
"Rétablir la communication des personnes atteintes locked-in
syndrome complet constitue une première étape cruciale dans le défi
de la récupération du mouvement. Le Wyss Center prévoit de s'appuyer
sur les résultats de cette étude pour développer une technologie
utile sur le plan clinique, qui sera disponible pour les personnes
atteintes de paralysie, qu'elle ait été causée par une SLA, un
accident vasculaire cérébral ou une lésion de la moelle épinière. La
technologie employée dans l'étude permet également des applications
plus larges qui pourraient, à notre avis, être développées davantage
pour traiter et surveiller les personnes présentant un large
éventail de troubles neurologiques".
La technique d'interface cerveau ordinateur de l'étude a fait appel
à la spectroscopie dans le proche infrarouge combinée à un
électroencéphalogramme pour mesurer l'oxygénation sanguine et
l'activité électrique au niveau cérébral. Tandis que d'autres
techniques d'interface cerveau ordinateur ont précédemment permis à
certains patients paralysés de communiquer, la spectroscopie proche
infrarouge est jusqu'à présent la seule approche ayant réussi à
rétablir la communication avec les personnes atteintes d'un syndrome
complet.
Jean Etienne
Sources principales :
Brain computer interface based communication in the completely
locked-in state (U.S. National Institutes of Health).
Idem, PLOS Biology (à paraître). |