27 octobre 2016

 

Sans oreille interne, comment les plantes se tiennent-elles à la verticale ?

 
La question n'est pas aussi anodine qu'il n'y paraît. Car si l'Homme contrôle la verticalité de sa posture grâce à la perception de la gravité via un dispositif reposant sur des cils vibratiles au sein de son oreille interne, les plantes accomplissent la même performance sans se laisser perturber par l'intensité des forces liées aux poids et accélérations. Mais comment ?

L'étude de ce système de perception spécifique aux plantes (qui, rappelons-le, ont un milliard d'années d'avance d'évolution sur les animaux) a été entreprise par un groupe de chercheurs de l’Inra (Institut National de la Recherche Agronomique), du CNRS et de l’Université Blaise Pascal, avec pour conclusion que même si les plantes oscillent fortement dans le vent, elles ne confondent pas ce balancement avec une perte de verticalité. Des travaux qui laissent entrevoir des applications prometteuses tant dans les domaines de l’agronomie que du biomimétisme avec la conception par exemple de capteurs de position miniaturisés.
 
Dans les statocytes, des grains d'amidon appelés statolithes (foncé) sédimentent sous l'action de la gravité et leur position est perçue par un capteur mécanobiologique. Crédit : INRA.
Les plantes ne possèdent pas d'oreille interne, je ne vous apprends rien… Pourtant, elles sont équipées d'un système d'orientation verticale ultraminiaturisé, composé d'ensembles de petits grains d'amidon appelés statolithes qui sédimentent au sein de cellules spécialisées nommées statocytes, distribuées tout au long des tiges du végétal.

Une différence a d'emblée toutefois attiré l'attention des scientifiques. Lorsque nous sommes soumis à une force centrifuge ou déséquilibrés par des changements désordonnés d'orientation, nous perdons le sens de la verticalité (essayez donc de tourner sur vous-mêmes pendant ne fût-ce qu'une dizaine de secondes, et vous verrez…). En effet, Einstein déjà avait démontré qu’un observateur local (un organisme, une cellule) ne peut distinguer les forces gravitationnelles des forces inertielles liées à des accélérations, et notre oreille interne est très sensible à l’intensité de ces forces. Or, les plantes sont très souvent agitées par le vent, sans pour autant perdre le sens de la verticale. Comment s'y prennent-elles pour ne pas, comme nous, avoir "la tête qui tourne" ?

Pour le déterminer, les chercheurs ont réalisé un "manège à plantes", disposant une chambre de culture, sorte de mini-serre, sur une centrifugeuse à deux axes de rotation, et suivi à l'aide de caméras les mouvements de redressement des plantes soumises à des forces perturbatrices.

A l'analyse du comportement de quatre espèces représentatives des grands types de plantes à fleurs cultivées (le blé, la lentille, le tournesol et l’arabette des dames), ils ont démontré qu’à la différence de notre oreille interne, les plantes sont capables de percevoir leur inclinaison par rapport à la gravité sans être affectées par l’intensité des forces gravitationnelles ou inertielles quelles subissent. Elles peuvent ainsi osciller fortement dans le vent, même de façon continue, sans confondre l'inclinaison subie avec une perte durable de verticalité. Les scientifiques ont désormais ajouté un microscope à l'expérience, afin de suivre en temps réel les mouvements des statolithes dans les cellules et décrypter les phénomènes cellulaires et moléculaires qui procurent ce véritable don aux plantes.

Ces résultats inédits devraient déboucher sur deux types d’applications. La première, agronomique, devrait permettre d’améliorer la capacité des plantes à se redresser après qu’une tempête les ait versées, un problème source de près de 10% de perte de rendement sur les céréales au niveau mondial. La deuxième application est biomimétique : en s’inspirant des cellules statocytes des plantes, on doit pouvoir concevoir des capteurs de position miniaturisés plus performants d'applications multiples.

Jean Etienne

Source principale :

Inclination not force is sensed by plants during shoot gravitropism, par Hugo Chauvet, Olivier Pouliquen, Yoël Forterre, Valerie Legue, Bruno Moulia. Scientific Reports 6, Article number: 35431 (2016). doi:10.1038/srep35431.

 

 

 
Schéma du dispositif expérimental utilisé dans l’étude : les plantes sont disposées dans une chambre de culture (60x16x3 cm) montée sur une centrifugeuse avec 2 axes de rotation sur laquelle un appareil photo est monté afin de filmer précisément le mouvement de redressement des plantes. La rotation de la centrifugeuse autour de l’axe vertical permet d’obtenir différents niveaux d’ accélération et de force centrifuge, alors que la rotation tête-bêche lente des plantes permet de compenser plus ou moins la perception par les statocytes de la gravité terrestre (effet clinostat). Enfin l’inclinaison de chaque plante peut être ajustée. Crédit : INRA.
 

 

 
 
 

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