Et ce n'est pas tout, cas des espèces cryptiques
ont été identifiées chez plusieurs animaux marins, comme entre
autres les baleines à bec ou les requins-marteaux. Sur la terre
ferme, les chercheurs viennent tout juste de réaliser que les
éléphants africains ne proviennent probablement pas d’une seule
espèce, mais bien de deux espèces cryptiques : un éléphant du bush
(de la savane) et un éléphant de la forêt, tandis que les girafes
d'Afrique se révèlent divisées en au moins 11 espèces cryptiques
très différenciées sur la base de leur ADN.
Un travail de titan
Différentier les espèces cryptiques, qui sont bel et bien des
espèces à part entière, se révèle une tâche donnant le tournis à
n'importe quel biologiste. Car l'immense majorité du vivant n'est
pas constituée de baleines ou d'éléphants, mais bien de petits
invertébrés, essentiellement des arthropodes comme les insectes, les
araignées et les crustacés. Et comme il existe tellement peu de
taxonomistes face à un nombre astronomique d'invertébrés, seuls les
groupes très différenciés sont classés comme espèces différentes,
généralement sur la seule inspection visuelle, sans analyse
génétique. Or lorsque les scientifiques examinent de plus près l'ADN
de ces invertébrés morphologiques, ils découvrent en général des
espèces multiples. Elles peuvent avoir un air de ressemblance, mais
ne se croisent jamais et ne l’ont jamais fait depuis des millions
d’années.
Un moustique, sept espèces
Par exemple, l’insecte qu’on croyait autrefois appartenir à une
seule et unique espèce de moustique porteur du paludisme s’est
révélé comme étant constitué d’au moins sept espèces différentes. Et
dans le cas d’un parasite dévastateur en agriculture, la mouche
blanche du tabac, ce sont 31 espèces cryptiques qui ont été
dénombrées.
Examiner chaque espèce connue dans ses détails génétiques va
représenter une tâche herculéenne, même avec la promesse de
techniques rapides comme le code-barres de l’ADN. Mais, ce faisant,
ce sont les espèces cryptiques qui devront se révéler comme la règle
et non l’exception, parmi la majorité des espèces vivantes.
Des millions d’espèces supplémentaires
La plupart des deux millions d’espèces répertoriées sont des espèces
morphologiques. Le fait d’avancer le chiffre de 8,7 millions
d’espèces sur Terre est une extrapolation de cette estimation de 2
millions. Cependant, une cascade de nouvelles preuves génétiques
démontre que de nombreuses espèces morphologiques déjà connues
peuvent représenter jusqu’à au moins dix espèces cryptiques toutes
semblables les unes aux autres, mais constituant néanmoins de
véritables espèces avec des patrimoines génétiques distincts. Et
donc, les 2 millions d’espèces morphologiques déjà décrites
pourraient facilement représenter 20 millions d’espèces à part
entière. Du même coup, cette augmentation d'un facteur dix ferait
passer les estimations de biodiversité totale de la Terre à une
amplification similaire, par exemple de 8,7 millions à 87 millions.
Une différenciation vitale pour l'humanité
L'ignorance de la différenciation des espèces cryptiques pourrait
être lourde de conséquences. Par exemple, il est impératif de savoir
si un moustique vecteur de maladies appartient à une ou plusieurs
espèces, car les espèces cryptiques, ignorées jusqu'à présent car
morphologiquement identiques, diffèrent dans leur comportement, leur
habitat et leur capacité de transmettre le paludisme, mais surtout
dans leur réponse à différents traitements. Une réalité qui, si l'on
n'en tient pas compte, pourrait réduire à néant les espoirs des
scientifiques dans leurs tentatives d'éradication de la maladie. Et
on ne parle ici que des moustiques…
Jean Etienne
Sources principales :
The Earth’s biodiversity could be much greater than we thought
(Mike Lee, professeur en biologie moléculaire à l'Université
d'Adélaïde – Australie, et Paul Oliver, post-doctorant en biologie
évolutive, zoologie et taxonomie à l'Université de Melbourne –
Australie).
Correspondence - Count cryptic species in biodiversity tally
(Nature 621, vol. 534, 30 juin 2016).
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