5 octobre 2016 (m.à j. 27/11/2019)

 

Un pilote allemand avait bien franchi le mur du son en… 1945

 
Un ancien pilote allemand de la Luftwaffe, Hans Guido Mutke, a bien été le premier à franchir le mur du son en 1945, deux ans avant le célèbre pilote d'essais américain Chuck Yeager.

En 1945, Mutke était en phase d'écolage sur le célèbre chasseur à réaction Messerschmitt 262. Le 9 avril, il effectuait un vol d'entraînement à une altitude de 12.000 mètres quand un Mustang attaqua un Me-262 de son escadrille. Mutke entama une descente en piqué, pleins gaz, et fondit sur l'Américain pour défendre son coéquipier. A ce moment, son Me-262 se mit à vibrer violemment et les commandes cessèrent de répondre. Après ce piqué fou, Mutke réussit néanmoins à reprendre le contrôle de l'appareil. Mais plusieurs instruments de bord avaient été endommagés et l'indicateur de vitesse était, lui, resté bloqué à 1.100 km/h.

Mutke se garda bien d'ébruiter l'affaire. II ne souhaitait pas finir au cachot pour avoir dépassé la limite de 950 km/h imposée par la Luftwaffe. En effet, on savait qu'à cette vitesse le mur du son était proche, et on en redoutait les effets. Avec raison, car les ailes du Me-262 de Mutke en avaient pris un fameux coup: une collection de rivets manquaient à l'appel.
 

 
 
Le Messerschmitt 262.
 
Officiellement, c'est Chuck Yeager qui a été le premier homme a franchir le mur du son le 14 octobre 1947 en volant à bord du X-1 à 1.066 km/h au-dessus du lac asséché de Rogers dans le sud de la Californie, à 12.000 mètres d'altitude. La nouvelle avait alors été gardée secrète par l'armée américaine jusqu'en juin 1948.

Ce n'est qu'après la publication du récit de l'exploit de Chuck Yeager en 1948 que Mutke commença à comprendre ce qui s'était passé. Des années durant, il essaya d'en savoir plus, ce qui lui permit de comprendre que son cas n'avait pas dû être isolé. Mais les autres Allemands qui, à l'époque, avaient franchi la barre s'étaient tous écrasés avec leurs appareils.

Hans Guido Mutke raconte son vol

"Après trois années passées comme pilote de reconnaissance, ayant effectué presque exclusivement des vols de nuit, j'ai reçu une affectation au Me 262 Operational Conversion Unit EJG 2 de Lagerlechfeld. L'entraînement devait débuter fin mars 1945 par quatre cours théoriques de jour, de 08:00 à 13:00 heures. Quelques jours plus tard, soit le 8 avril 1945, j'étais autorisé à effectuer mon premier vol dans un Me262 "Weiße 12" jusqu'à une altitude de 8.200 mètres. Cet essai a duré 50 minutes, de 12:35 à 13:25 hrs. Il faut préciser que ces lâchers s'effectuaient en solo, et non pas avec un instructeur comme la règle l'aurait voulu, car nous ne disposions plus de Me262 biplaces."

 

Hans Guido Mutke peu avant son décès, en 2004.

"Le lendemain 9 avril, j'ai décollé à bord du Me262 "Weiße 9" pour un second vol d'écolage, programmé entre 15:25 et 16:15 hrs, atteignant cette fois l'altitude de 12.000 m. Mais même à cette altitude l'avion grimpait encore et j'ai l'impression que j'aurais pu le mener jusqu'à 14.000 m. Les conditions de vol étaient excellentes, seuls quelques petits nuages épars garnissaient le ciel et la visibilité en altitude était supérieure à 100 km. Ma radio était réglée sur la fréquence des combats, à ce moment l'aviation alliée effectuait des patrouilles régulières sur le sud de l'Allemagne autour des bases de Je262."

"Notre instructeur principal, Oberstleutnant Bär, était aussi en vol et coordonnait la mission. Un autre élève pilote, le sous-officier Achammer, effectuait son premier vol d'entraînement sur un Me262. Soudain, l'instructeur l'a averti qu'un Mustang américain l'attaquait par derrière. Achammer aurait pu rompre le combat et rejoindre la base, mais excité, il a préféré faire front. Je me trouvais à ce moment à 12.000 mètres au-dessus de lui. J'ai immédiatement viré sur l'aile gauche en entamant un piqué à pleine puissance des moteurs à 40° pour arriver le plus rapidement possible à la hauteur de mon camarade."

"Après quelques secondes, l'avion a commencé à vibrer puis a subi des secousses de plus en plus violentes, la queue de l'appareil se mettant à osciller d'un côté à l'autre. L'indicateur de vitesse était à fond de butée (1100 km/h). L'avion était devenu totalement incontrôlable, et les secousses étaient tellement fortes que je ne pouvais même plus arriver à lire les instruments."

"Une seconde plus tard les vibrations se sont soudain interrompues, mais bien que l'indicateur de vitesse soit toujours bloqué sur 1100 km/h, je n'arrivais pas à redresser la trajectoire, en dépit de tous mes efforts, l'avion piquait de plus en plus. J'ai aussi essayé de faire des embardées à gauche et à droite en agissant sur le gouvernail, sans succès car les commandes semblaient être devenues inertes."

"Entre-temps j'avais coupé l'alimentation en carburant des deux moteurs afin de réduire la vitesse. Cela m'a permis de reprendre progressivement le contrôle de l'appareil et de relancer les réacteurs. Mais je m'aperçus directement que je ne contrôlais plus l'avion normalement, que celui-ci avait tendance à virer à droite en entamant une montée, alors que je ne touchais pas aux commandes. Je parvins à ramener la vitesse à 500 km/h, mais il était évident que l'atterrissage serait risqué. Alors que le Me262 était conçu pour atterrir à une vitesse standard de 250 km/h, c'est à 350 km/h que je touchais la piste, car l'appareil manquait totalement de stabilité, mais je réussis néanmoins à le poser."

"Après l'atterrissage, Oberstleutnant Bär examina l'appareil. Les ailes avaient été déformées et plusieurs rivets manquaient, et il me dit que j'avais dû dépasser la vitesse autorisée de 950 km/h. Je niais énergiquement, car endommager un avion rare et précieux comme le Me262 entraînait une punition sévère, et après avoir eu tant de chance en vol, je ne voulais pas finir mes jours en prison. J'ai donc affirmé que l'accident était probablement provoqué par un défaut de construction."

Quant au sous-officier Achammer, son appareil a été touché par l'Américain et son moteur a pris feu, mais il a pu s'éjecter à basse altitude et a été récupéré indemne.

Il y avait eu auparavant plusieurs accidents inexpliqués de Me262. Mutke subodore qu'ils ont pu se produire parce que les pilotes ont passé le mur du son et l'ont payé de leur vie. "J'ai toujours dit que le premier à avoir franchi le mur du son est le pilote inconnu", dit-il, en référence au soldat inconnu. Il affirme également que des documents découverts dans l'Ohio révèlent que des pilotes d'essai britanniques ont pu passer en mode supersonique avec des Me262 à l'automne 1945.

La solution, deux années plus tard

Il faudra attendre deux années, jusqu'en 1947, pour qu'un programme de recherches explore la zone comprise entre Mach 0,8 et Mach 1 et mette en évidence ce que les pilotes d'essais appelleront la "phase de buffeting". Ce sera le programme X-1 de l'Armée de l'Air américaine.
 

 
 
Le Bell X-1
 
On soupçonnait à l'époque qu'à des vitesses de l'ordre de Mach 0,8/0,9 - le flux d'air passant sur l'aile se déplaçant beaucoup plus vite que celui qui passe sous l'aile, ce qui crée d'ailleurs les 2/3 de la portance - l'entrelacement du flux d'air subsonique du dessous de l'aile et du flux d'air supersonique du dessus de l'aile cause des séparations de flux violentes et turbulentes générées par l'aile et le fuselage, et heurtant la queue. Le tout se compliquant par un changement dans la balance aérodynamique de l'avion, changement se répercutant sur sa contrôlabilité. D'où l'hypothèse que l'appareil pouvait subir une "inversion des commandes" et devenir subitement lourd du nez ou de la queue. Mais pas qu'il devienne incontrôlable et inerte, ainsi que Mutke l'avait ressenti.

Pourtant, c'est bien ce qui se produira lorsque Chuck Yeager approchera la barrière mythique lors de ses premières tentatives. L'avion ne répondra plus du tout, malgré le bon fonctionnement des gouvernes.

L'explication viendra plus tard. Une onde de choc se forme d'abord à l'avant de l'aile. Et plus la vitesse augmente, plus l'onde de choc recule sur l'aile, pour se fixer à des zones proches de Mach 1, à l'arrière de l'aile. En examinant les données télémétriques des vols du X‑1, les techniciens découvrirent que, à Mach 0,94, l'onde de choc portait juste à l'articulation entre le plan fixe horizontal et la gouverne de profondeur, annulant ainsi l'action des commandes.

Une concertation eut lieu à Muroc Air Force dont devait sortir une nouvelle méthode de pilotage... rudimentaire certes mais qui allait permettre de contourner l'obstacle. Il fut proposé en effet, dans ces zones critiques, de ne plus utiliser la gouverne de profondeur, de toute façon devenue inefficace, mais de pré-trimer préalablement toute la dérive horizontale arrière, ce qui, peut‑être, permettrait de garder un contrôle suffisant de l'appareil pour qu'il puisse pénétrer plus avant dans cette zone inconnue.

Et cela marcha. Le mur du son fut franchi le 14 octobre 1947, mais l'évènement gardé secret jusqu'en juin 1948. Les trois X-1 existants furent alors modifiés et reçurent un gouvernail de profondeur monobloc. Ce secret ne fut révélé qu'une dizaine d'années plus tard.

Mais si l'aventure de Hans Guido Mutke vient à être confirmée, c'est toute l'histoire de l'aviation qui devra être revue.

Jean Etienne

 
 
 
Ce qui reste, aujourd'hui, du Me262 "Weiße 9", ou du moins la dernière photographie connue de l'avion.
 

 
 
 
 

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