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Les merveilleux sondages, accompagnés de leurs
analyses poussées et de leurs discours ensuite pulvérisés par le
résultat du Brexit ou des élections américaines, mais aussi - et
surtout - les fausses nouvelles et les fausses études scientifiques
réussissant à s'infiltrer même dans de prestigieuses revues dont la
réputation n'est plus à faire constituent un problème inédit… et
extraordinairement dangereux !
L’affaire d’OMICS
International et son rachat de deux revues médicales canadiennes
montrent le problème grandissant des fausses études scientifiques
qui sont publiées en échange d’argent. Un journaliste de Postmedia
News a démontré le problème avec éclat, en réussissant à publier une
étude sur un journal appartenant à ce groupe. Une étude qui n’avait
aucun sens et était plagiée… d’un texte d’Aristote ! Démonstration
s'il en est que les fausses nouvelles, mais surtout les fausses
études scientifiques, sont un problème particulièrement dangereux en
ce début de siècle dit "de la connaissance", car elles risquent de
saper l’autorité scientifique sur le long terme. Au profit de quoi ?
Basé à Hyderabad 1, en Inde, OMICS International est un éditeur de
revues scientifiques. Mais il s'agit surtout d'un "Predatory
Publisher", c'est-à-dire d'un organisme proposant aux scientifiques
de publier leurs découvertes ou études en échange d'une somme
d'argent. Selon le règlement de la société, les études ne sont
publiées qu'après approbation par un comité de lecture, mais
celui-ci n'existe tout simplement pas…
Ce phénomène de publication par des revues douteuses s'explique
aisément par le fait que de nombreux jeunes scientifiques sont
tellement pressés d'accéder à une certaine notoriété qu'ils se font
facilement piéger par ce chant des sirènes… Mais sur le long terme,
faire appel à ce genre d'arnaque aura pour seul effet de détruire
leur réputation. A jamais. Et le pire, c'est qu'il existe des
centaines de fausses revues scientifiques. Jeffrey Beall est l’un
des meilleurs spécialistes concernant ces revues douteuses et il a
même créé une liste
de toutes les revues qu’un scientifique doit éviter comme la peste.
Les métastases atteignent les revues "sérieuses"…
Jusqu'à présent, la communauté scientifique et les revues
scientifiques réputées arrivaient à se démarquer des fausses revues.
Mais en début d’année 2016, OMICS International a réussi à racheter
deux revues médicales au Canada, Pulsus Group et Andrew John
Publishing. Autrefois considérées comme sérieuses et au-delà de tout
soupçon, elles sont à présent tombées sous la direction de OMICS
International, qui les utilise désormais pour promouvoir ses propres
papiers scientifiques douteux. En gros, OMICS International dilue
les fausses études de ses clients dans des revues respectables pour
leur procurer une certaine légitimité.
Afin de démontrer cette réalité, Tom Spears, un journaliste du
groupe Postmedia News, avait en 2014 créé de toutes pièces une
fausse étude qui avait été publiée sans aucun problème. Celle-ci
reprenait des extraits de divers papiers déjà existants sur la
géologie et le secteur médical. Il avait même poussé
l'invraisemblance en ajoutant des graphiques provenant d’une
publication sur la géologie de la planète Mars. Le journaliste a
ensuite envoyé son papier à 18 revues scientifiques douteuses. Les
messages d’acceptation sont arrivés en l’espace de 24 heures. Le
montant demandé allait de 500 à 800 dollars alors qu’en général, ce
type de revue demande jusqu’à 2000 dollars.
Il y a quelques mois, Tom Spears remet le couvercle en publiant un
autre papier, plagié lui d’un texte… d’Aristote. Il avait suffi
de changer des mots à intervalle régulier pour que cela traverse
sans encombre le détecteur de plagiat.
Le papier a été publié dans la revue Journal of Clinical
Research and Bioethics. Notons que cette revue ne fait pas
partie de celles qui ont été rachetées par OMNICS International.
Mais le journal est promu dans le même groupe en la faisant passer
pour un article de qualité.
Voici le genre d’extrait qu’on peut lire dans ce papier : "Chaque
chose qui est effectuée avec raison que les éthiciens connaissent
comme la « ketterance » n’est pas volontaire. C’est seulement le
processus qui produit une sécheresse sévère". Si vous trouvez un
sens à cette phrase, alors c’est que vous avez un problème. Le terme
ketterance n’existe pas et on se demande ce que vient foutre la
sécheresse dans une revue d’éthique médicale.
Toi aussi, écris ta propre étude scientifique en quelques
secondes
Mais l'étape suivante est déjà franchie… Désormais, il n'est plus
besoin de plagier de quelconques papiers scientifiques pour produire
une fausse étude. Car aujourd'hui, grâce à l'outil
Scigen, créé par des
chercheurs du MIT, vous pouvez générer sans efforts des publications
scientifiques à la volée grâce à l'informatique. L’objectif des
chercheurs était de dénoncer les conférences scientifiques douteuses
qui acceptaient n’importe qui. Scigen va créer le papier, les
graphiques et tout ce qu’il faut pour créer un papier scientifique.
Si vous êtes prêt à payer le prix dans les revues douteuses, alors
votre papier est publié avec votre nom. Et voilà, vous êtes devenu
un scientifique.
Lorsque SciGen a été lancé, les dégâts se sont avérés
catastrophiques. En 2014, la revue Nature révélait que les éditeurs
Springer et IEEE (considérés comme des références dans leur domaine)
avaient dû rétracter près de
120 papiers générées par SciGen.
Un exemple ? Téléchargez donc (en pdf) la publication intitulée
The Effect of Extensible Modalities on Cryptography, signée
de scientifiques très célèbres, soit en tête d'affiche Adolf Hitler,
Donald Trump et Nicolas Sarkozy…
Jean Etienne
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