La chimie de synthèse, qui consiste à modifier
des molécules existantes de façon à obtenir de nouveaux assemblages
moléculaires, ne saurait se passer de l'hydrogène utilisé comme
catalyseur. Mais une récente découverte vient de démontrer que le
soufre pouvait aussi jouer ce rôle, ouvrant ainsi la voie à une
nouvelle chimie.
Les molécules de départ subissent plusieurs séquences de
transformation avant de former une nouvelle architecture stable.
Toutefois, une molécule ne se transforme pas d'elle-même, elle doit
y être poussée par une autre molécule, nommée catalyseur. Dans la
nature, ce rôle est joué par les enzymes. En chimie et en biologie,
le catalyseur principalement utilisé par les scientifiques est
l'atome le plus petit qui existe : l'hydrogène.
Une équipe de scientifiques de l'Université de Genève (INIGE) vient
de constater que l'atome de soufre, intégré avec précaution dans une
molécule, permet aussi de jouer ce rôle de catalyseur. Mais non
seulement, car il en résulte également une précision largement
accrue, ouvrant ainsi la voie à la création de nouvelles molécules
qui pourront être exploitées dans notre quotidien, énergie,
environnement, médicaments, cellules solaires et une multitude
d'autres domaines.
"Lorsque nous souhaitons effectuer une transformation
moléculaire, nous utilisons fréquemment la liaison hydrogène. Cela
signifie que nous mettons en contact la molécule que nous souhaitons
changer, dite substrat, avec de l'hydrogène. Ce catalyseur enlève
progressivement les charges négatives contenues dans le substrat,
jusqu'à ce que la molécule soit trop pauvre en charges négatives et
se voit obligée de se mettre en contact avec un autre substrat pour
retrouver de la stabilité, d'où sa transformation", explique
Stefan Matile, professeur au Département de chimie organique de la
Faculté des sciences de l'UNIGE et directeur de l'étude. L'hydrogène
peut ainsi être considéré comme un aspirateur de charges négatives
qui pousse les molécules à s'assembler afin de compenser ces pertes.
Une précision accrue par le soufre
L'équipe du professeur Matile s'intéresse à d'autres liaisons qui
n'utilisent pas l'hydrogène comme catalyseur. Celles-ci sont
considérées comme exotiques par les chimistes et revêtent en général
peu d'intérêt dans la transformation moléculaire. Toutefois, en
analysant de plus près l'atome de soufre présent dans certaines
molécules, les chercheurs de l'UNIGE ont constaté que celui-ci
possède une déficience en électrons, un "trou noir" sur sa surface à
un endroit bien délimité. Ils se sont alors demandés si ce trou,
extrêmement pauvre en charges négatives, jouerait le même rôle
d' "aspirateur" que l'hydrogène si on le mettait en contact avec un
substrat. Si tel est le cas, le soufre pourrait servir de catalyseur
et pousser les molécules à se transformer. Cette liaison peu
orthodoxe, nommée chalcogène, remplacerait ainsi la liaison
hydrogène conventionnelle.
"Afin de vérifier notre hypothèse, nous avons créé et testé
plusieurs structures moléculaires en utilisant des liaisons
chalcogène de plus en plus fortes. Et nous avons constaté que non
seulement celles-ci fonctionnent et accélèrent les transformations
avec une vitesse mille fois supérieure qu'en l'absence de
catalyseur, mais que de surcroît, nous atteignons un degré de
précision impossible à avoir avec une liaison hydrogène", ajoute
Stefan Matile.
En effet, l'hydrogène est pauvre en électrons sur toute sa surface.
Lorsqu'il joue le rôle de catalyseur, l'atome entier peut entrer en
contact avec le substrat et aspirer de toutes parts les charges
négatives. Mais avec le soufre, seul un espace délimité peut jouer
ce rôle d'aspirateur. Et cette différence permettra au chimiste
d'être plus précis dans l'orientation du contact entre le substrat
et le catalyseur, contrôlant la transformation de la molécule avec
une précision grandement accrue.
Une révolution dans la chimie de synthèse.
Cette découverte représente un nouvel instrument à disposition du
chimiste et prouve qu'il est dorénavant possible de procéder de
différentes manières pour faire de la transformation moléculaire, ce
qui ouvre des voies inaccessibles jusqu'alors à la chimie de
synthèse. L'équipe du professeur Matile va à présent tenter de créer
des molécules de synthèse inédites qu'il serait impossible d'obtenir
au moyen d'une liaison hydrogène conventionnelle. La porte à la
création de nouveaux matériaux est ouverte.
Jean Etienne
Source principale :
Catalysis with Chalcogen Bonds (Agewandte Chemie,
International Edition, DOI: 10.1002/anie.201611019 - 16 décembre
2016).
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