16 novembre 2016

 

L'escroquerie de l'Homme de Piltdown était l'œuvre d'une seule personne

 
"Découvert" en 1899 et présenté en 1912 à la Société de Géologie de Londres, le crâne de l'Homme de Piltdown était censé représenter le chaînon manquant entre le singe et l'Homme. Mais le canular fut démontré dans les années 20, même s'il fallut encore trente ans pour que la communauté scientifique reconnaisse son erreur…

Toutefois, une question restait en suspens : qui avait organisé, ou commandité cette falsification ? Charles Dawson, à l'origine de la découverte, avocat, archéologue, paléontologue et géologue amateur, était fortement suspecté. Mais celui-ci décéda en 1916, bien avant les premiers doutes sur l'authenticité du célèbre crâne. D'autres personnes, comme l'anthropologue évolutionniste Teilhard de Chardin, ou même Arthur Smith Woodward, président de la Société de géologie de Londres et conservateur du département d'histoire naturelle au Muséum d'histoire naturelle de Grande-Bretagne, auquel Dawson confia en premier sa découverte, et même sir Arthur Conan Doyle, qui habitait près de Piltdown au moment crucial et fréquentait Dawson, furent suspectés. Sans la moindre preuve.

Dans les années 1920, trente ans avant que des analyses au fluorure montrent, en 1953, que l'homme de Piltdown était un canular, le paléoanthropologue allemand Franz Weidenreich avait pu examiner les restes découverts à Piltdown et il avait signalé qu'ils étaient composés du crâne d'un homme moderne et de la mandibule d'un orang-outan, avec les dents rangées vers le bas. Weidenreich, en sa qualité d'anatomiste, avait facilement pu démontrer qu'il s'agissait d'un canular. Mais, il fallut trente ans pour que la communauté scientifique accepte de reconnaître qu'il avait raison.

Le mobile

A l'époque, créationnistes et évolutionnistes s'opposaient encore, un conflit qui avait le don d'excéder les véritables scientifiques convaincus de la théorie de Darwin. Convaincus que l'Homme descendait du singe, ceux-ci recherchaient donc le fameux "chaînon manquant", un fossile d'hominidé situé à l'époque de transition entre le singe et l'Homme. Or, le crâne de Piltdown tel qu'il fut présenté en 1912 présentait les caractéristiques recherchées : une grande capacité crânienne indiquant une pré-humanisation, et une denture proche de celle du singe. La partie paraissait gagnée… Jusqu'à la découverte de crânes d'Australopithèques à partir de 1924, qui furent reconnus comme appartenant à la lignée humaine, et qui présentaient des caractéristiques inverses : une petite capacité crânienne et une denture proche de celle de l'Homme. Il n'en fallait pas moins pour semer le doute…

Dawson ambitionnait simplement d'être élu membre de la Royal Society, ce qui aurait été une consécration scientifique majeure. Bien que "nominé", l'honneur suprême lui avait été refusé, et les chercheurs pensent que cela l'a motivé à créer l’Homme de Piltdown, ce qui lui aurait assuré cette promotion.

Une nouvelle étude, and the winner is…

L'anthropologue et paléontologue Isabelle De Groote, de l'Université de Liverpool et son équipe ont récemment effectué une nouvelle recherche, attribuant l'escroquerie à un seul homme en la personne de Charles Dawson.

Les nouvelles analyses mettent en évidence une combinaison de méthodes à la fois brillantes et maladroites qui ont trompé les scientifiques du 20ème siècle pendant 40 ans. Charles Dawson a modifié des ossements humains et d’orang-outan pour ressembler à ce que les scientifiques de l’époque considéraient comme le chainon manquant entre le singe et l’homme, avant d'annoncer la découverte de ce qu’ils avaient nommé Eoanthropus dawsoni en décembre 1912.
 
Le crâne de l'homme de Piltdown. Les parties en blanc ont été reconstituées, les parties en gris foncé appartiennent à un humain moderne, celles en gris clair à un orang-outan.
L’utilisation de techniques de contrefaçon dans la mâchoire et 4 dents d'orang-outan et dans 6 fragments de boîtes crâniennes provenant de 2 ou 3 humains, montre que seul Dawson avait disposé les faux fossiles à proximité d'un dépôt de gravier dans le village de Piltdown. L'équipe de recherches est formelle : Dawson n’a reçu aucune aide pour organiser et effectuer la supercherie.

En tant que collectionneur d’artefacts pour un musée local et en ayant accès aux collections des ossements d’animaux, Dawson a pu obtenir facilement la mâchoire d’orang-outan selon Miles Russell, archéologue de l’université de Bournemouth en Angleterre. Russell suggère aussi que Dawson n’a pas uniquement crée l’Homme de Piltdown, mais il a également fabriqué d’autres découvertes de sa collection, notamment un fossile d’un prétendu hybride entre un reptile et un mammifère.

L’imagerie 3D en haute résolution effectuée par l’équipe de Groote montre que la mâchoire de l’orang-outan était fissurée sur la longueur. Cela suggère un étirement par les deux extrémités afin d'élargir les cavités dentaires de la mâchoire pour enlever proprement deux molaires. Celles-ci étant nettement plus incurvées chez les grands singes, Dawson les a modifiées à la lime pour qu’elles ressemblent à celles d’un humain et les a replacées dans leurs cavités, les maintenant en place au moyen d'une fine couche de mastic.
 
 

 
Le corps excavé de la mandibule montrant l'os alvéolaire enlevé et les racines brisées (a), et la fissure provoquée lors de son étirement afin d'extraire deux molaires (b). Crédit : The Royal Society.
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"J’ai été surpris par les modifications considérables qui ont été apportées à ces fossiles et le fait que personne ne les ait remarqués auparavant", annonce Chris Stringer, co-auteur de l’étude et paléoanthropologue au musée d’histoire naturelle de Londres. "Depuis la publication du papier scientifique qui révèle la supercherie de l’Homme de Piltdown en 1953, soit longtemps après la mort de Dawson en 1916, il y avait une grosse liste de complices qui auraient pu aider Dawson à fabriquer ces fossiles".

Mais selon De Groote, Dawson n'avait pas besoin d'aide. Avant sa mort, il avait annoncé qu'on allait découvrir d'autres fossiles d'Eoanthropus à environ 3 km du premier site. Ce qui se réalisa. Or, une récente analyse d'ADN mitochondrial indique qu'une dent provenant de cet autre site de fouilles provient du même individu que le premier crâne. Dawson avait toutefois perfectionné son travail de contrefaçon sue la dent du second site, apprenant certainement à corriger ses erreurs face à un certain scepticisme émis suite à la découverte originale.

Afin de les faire correspondre avec la couleur du gravier environnant, Dawson a aussi teint ses fossiles en marron rougeâtre. Il a teint de la même façon d'autres ossements non humains, des outils en pierre et un os creux qui était disposé au milieu des fossiles.

Selon Bernard Wood, paléoanthropologue de l’université de Washington, Dawson a été brillant, mais aussi très maladroit. Le problème est que la science de l’époque croyait fermement en l’existence du chainon manquant. Quand Dawson a débarqué avec son crâne de Piltdown, certains scientifiques ont juste vu ce qu’ils cherchaient depuis longtemps et ont fermé les yeux sur des irrégularités pourtant évidentes apparues dès les années 20.

L'affaire de l'Homme de Piltdown démontre brillamment qu'il ne faut jamais examiner une preuve avec les yeux de l’espoir, mais bien avec les yeux de la réfutabilité de la preuve.

Jean Etienne

Source principale :

New genetic and morphological evidence suggests a single hoaxer created ‘Piltdown man’ (The Royal Society, 10 août 2016. DOI: 10.1098/rsos.160328).
 

 

 
En haut, à gauche et à droite, on aperçoit la surface de mastication de la dent d’un orang-outan attribuée à l’Homme de Piltdown. Cette surface a été limée. La partie où l'émail de la dent a été remplacé est encadrée. Une étude plus attentive sur la même dent (en bas) révèle les traces de lime (D et E). Le mastic est visible dans la section F et la teinte marron rougeâtre sur la section G. Crédit : The Royal Society.
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