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Nadia Chaudhri |
Car en effet, les signaux pavloviens qui
prédisent la consommation d’alcool peuvent nous mener à la
dépendance. Mieux encore, dans certains cas, ces stimuli peuvent en
soi devenir attrayants. Nadia Chaudhri, professeure au Département
de psychologie et auteure principale de l’étude, s'exprime à ce
sujet : "La dépendance à l’alcool est aggravée par notre capacité
d’apprendre à partir d’indices prédictifs. Les réactions
conditionnées aux signaux peuvent déclencher des comportements qui
mènent à la consommation d’alcool - entrer à la SAQ ou aller
chercher une bière, par exemple".
Selon les chercheurs, les signaux prédictifs de consommation
d'alcool, dont la publicité fait largement usage, peuvent devenir en
eux-mêmes très attirants. Ainsi, les gens – et on parle bien ici de
vous et moi, pas seulement des personnes en prise avec un problème
d'alcoolisme – peuvent très bien être amenés à continuer à boire,
simplement à cause du plaisir qu'ils éprouvent de leur interaction
avec ces signaux.La "science"
publicitaire a-t-elle vaincu l'assuétude à l'alcoolisme ?
Une constatation qui bouleverse tous les
traitements actuellement admis et mis en place pour le traitement de
l'alcoolisme, car elle démontre que pour combattre leur assuétude,
car les buveurs doivent axer leurs efforts non seulement sur les
boissons alcoolisées, mais aussi sur tous les facteurs entourant
leur consommation.
Et là, ce n'est pas gagné. Car comme le
remarque Nadia Chaudhri, "bien des gens possèdent des verres
spécialement conçus pour différents types d’alcools et affichent de
fortes préférences pour certaines boissons", une pratique certes
ancienne, mais qui se révèle aujourd'hui très profitable.
Les rats au secours des alcooliques
Les travaux de Nadia Chaudhri sont basés sur l'étude de vingt-cinq
rats de laboratoire, qui ont été conditionnés pour associer un
signal précis à la présence d’éthanol, soit le principal type
d’alcool présent dans les boissons alcoolisées. Un signal visuel a
été associé à la présence d'éthanol, de façon à ce que les animaux
s'attendent à recevoir de l'alcool dès qu'ils l'aperçoivent. Dans un
premier temps, dès qu'ils percevaient ce signal, les rats se
dirigeaient à l'endroit précis où l'alcool leur était distribué.
Pourtant, après un certain temps, les rongeurs ont abandonné ce
comportement pourtant logique, et se sont plutôt dirigés vers le
signal visuel, tentant d'interagir directement avec celui-ci. Un
comportement d'autant incompréhensible que les rats auraient eu
avantage à s'orienter directement vers le lieu de distribution
d'alcool, pourtant toujours disponible.
Oui mais voilà. En réalité, les rats étaient prêts à faire des
efforts importants, non pour qu'on leur fournisse de l'alcool, mais
pour qu'on leur montre un signal visuel couplé à la présence
d'alcool. Et ce, même si l’on ne leur donnait pas d’alcool
simultanément à la présentation du signal en question. Un résultat
qui montre à penser - voire même démontre - qu'un "signal
prédictif", soit tout simplement une "pub", selon la novlangue
édulcorée de nos media, peut devenir en soi un... but désirable.
Selon Nadia Chaudhri, ces connaissances peuvent parfaitement être
transposées à l'être humain, et sont une source de premier choix
pour comprendre les mécanismes du cerveau ayant une incidence
importante sur le comportement. Et cela non seulement dans la
compréhension de l'alcoolisme, mais aussi d'autres dépendances,
comme le tabagisme.
Jean
Etienne
Source principale :
The attribution of incentive salience to Pavlovian alcohol cues : a
shift from goal-tracking to sign-tracking (Front. Behav.
Neurosci., 03 March 2015).
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