11 novembre 2016

 

Sommes-nous des chiens de Pavlov devant la consommation d'alcool ?

 
De nombreuses marques d'alcool, bières comme spiritueux, proposent des types spécifiques de verres. Et ce n'est pas anodin…

Lorsque nous apercevons nos chaussures de course, nous avons envie de piquer un sprint. Et si nous ne sommes pas sportifs, nous sommes tout de même "victimes" de ce genre de stimuli, abondamment colportés via la pollution publicitaire. Et si dans le cas d'une paire de chaussures de sport c'est sans grave conséquence, cela peut poser un grave problème dans d'autre cas.

Une équipe de chercheurs de l'Université Concordia, à Montréal, et conduite par Nadia Chaudhri, a établi un lien solide entre la dépendance à l'alcool et divers stimuli, comme le fait d'être amené à boire dans des verres sophistiqués adaptés à certaines marques alors qu'ils ne modifient aucunement la composition ni le goût du breuvage.
 

Nadia Chaudhri

Car en effet, les signaux pavloviens qui prédisent la consommation d’alcool peuvent nous mener à la dépendance. Mieux encore, dans certains cas, ces stimuli peuvent en soi devenir attrayants. Nadia Chaudhri, professeure au Département de psychologie et auteure principale de l’étude, s'exprime à ce sujet : "La dépendance à l’alcool est aggravée par notre capacité d’apprendre à partir d’indices prédictifs. Les réactions conditionnées aux signaux peuvent déclencher des comportements qui mènent à la consommation d’alcool - entrer à la SAQ ou aller chercher une bière, par exemple".

Selon les chercheurs, les signaux prédictifs de consommation d'alcool, dont la publicité fait largement usage, peuvent devenir en eux-mêmes très attirants. Ainsi, les gens – et on parle bien ici de vous et moi, pas seulement des personnes en prise avec un problème d'alcoolisme – peuvent très bien être amenés à continuer à boire, simplement à cause du plaisir qu'ils éprouvent de leur interaction avec ces signaux.

La "science" publicitaire a-t-elle vaincu l'assuétude à l'alcoolisme ?

Une constatation qui bouleverse tous les traitements actuellement admis et mis en place pour le traitement de l'alcoolisme, car elle démontre que pour combattre leur assuétude, car les buveurs doivent axer leurs efforts non seulement sur les boissons alcoolisées, mais aussi sur tous les facteurs entourant leur consommation.

Et là, ce n'est pas gagné. Car comme le remarque Nadia Chaudhri, "bien des gens possèdent des verres spécialement conçus pour différents types d’alcools et affichent de fortes préférences pour certaines boissons", une pratique certes ancienne, mais qui se révèle aujourd'hui très profitable.

Les rats au secours des alcooliques

Les travaux de Nadia Chaudhri sont basés sur l'étude de vingt-cinq rats de laboratoire, qui ont été conditionnés pour associer un signal précis à la présence d’éthanol, soit le principal type d’alcool présent dans les boissons alcoolisées. Un signal visuel a été associé à la présence d'éthanol, de façon à ce que les animaux s'attendent à recevoir de l'alcool dès qu'ils l'aperçoivent. Dans un premier temps, dès qu'ils percevaient ce signal, les rats se dirigeaient à l'endroit précis où l'alcool leur était distribué. Pourtant, après un certain temps, les rongeurs ont abandonné ce comportement pourtant logique, et se sont plutôt dirigés vers le signal visuel, tentant d'interagir directement avec celui-ci. Un comportement d'autant incompréhensible que les rats auraient eu avantage à s'orienter directement vers le lieu de distribution d'alcool, pourtant toujours disponible.

Oui mais voilà. En réalité, les rats étaient prêts à faire des efforts importants, non pour qu'on leur fournisse de l'alcool, mais pour qu'on leur montre un signal visuel couplé à la présence d'alcool. Et ce, même si l’on ne leur donnait pas d’alcool simultanément à la présentation du signal en question. Un résultat qui montre à penser - voire même démontre - qu'un "signal prédictif", soit tout simplement une "pub", selon la novlangue édulcorée de nos media, peut devenir en soi un... but désirable.

Selon Nadia Chaudhri, ces connaissances peuvent parfaitement être transposées à l'être humain, et sont une source de premier choix pour comprendre les mécanismes du cerveau ayant une incidence importante sur le comportement. Et cela non seulement dans la compréhension de l'alcoolisme, mais aussi d'autres dépendances, comme le tabagisme.

Jean Etienne

Source principale :

The attribution of incentive salience to Pavlovian alcohol cues : a shift from goal-tracking to sign-tracking (Front. Behav. Neurosci., 03 March 2015).

 
 

 

 

 
 
 

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