Par quelles routes, et à quelle époque la race
humaine est-elle arrivée sur le continent américain ? Ces questions
sont longtemps restées sans réponse. Désormais, une étude génétique
retrace le parcours de ces populations depuis leur première arrivée
jusqu’à leur rencontre avec les Européens. Et ce contact a été bien
plus cataclysmique qu’on le pensait.
Jon Erlandson, un archéologue de l’université de l’Oregon, a mis la
génétique à contribution dans une nouvelle étude qui se base sur des
données uniques : 92 squelettes et momies provenant de l’Est de
l’Amérique du Sud, des personnes qui ont vécu voici 500 à 8600 ans
dans des régions qui s'étendent du Mexique au Chili. L'équipe de
chercheurs a séquencé chaque échantillon du génome mitochondrial,
des gènes qui se transmettent de la mère à ses enfants. Par leur
expertise, ces gènes ouvrent donc une fenêtre sur l’héritage
matrilinéaire des Américains natifs.
De la Sibérie vers le Nouveau Monde
En numérisant les mutations aléatoires qui s’accumulent chez les
populations qui ont été séparées, les généticiens peuvent remonter
l’arbre génétique pour déterminer que deux groupes possèdent un
ancêtre commun. Et lorsque les chercheurs ont appliqué cette
technique à 92 momies et squelettes, ils ont constaté que les
ancêtres des Américains natifs avaient été en contact direct avec
les populations sibériennes d'il y a 23.000 ans. Ensuite, un
groupement qui comprenait en son sein entre 2.000 et 10.000 femmes
s’est totalement séparé des autres ensembles, et cela pendant 6.000
ans. Cela suppose l’idée que les futurs Américains ont passé
quelques millénaires en Béringie, un passage qui existait alors
entre l’Alaska et la Sibérie, avant que les calottes glaciaires
commencent à s'étendre et ouvrent des passages vers le Nouveau
Monde.
Il y a 16.000 ans, ces populations sont passées de la Béringie vers
ne Nouveau Monde, où elles ont eu accès à des ressources bien plus
abondantes qui leur ont permis de se développer rapidement. Selon
Alan Cooper, biologiste à l'université d’Adelaïde (Australie), cette
route longeait la côte du Pacifique, car les calottes glaciaires
étaient encore très épaisses et leur passage très difficile. Par
contre, si vous longez la côte avec des embarcations, vous pouvez
vous déplacer rapidement, annonce Theodore Schurr, un anthropologue
généticien de l’université de Pennsylvanie. Cela expliquerait le
déplacement rapide des populations, et de fait, des preuves
archéologiques montrent que le Monte Verde au sud du Chili était
occupé il y a 14.500 ans. Ce qui laisse 1.500 ans pour couvrir tout
le continent selon Cooper.
Mais la suite a été plus surprenante. Chaque groupe s'est installé
dans son petit coin, en se gardant bien d'entrer en contact avec les
"autres". Et en quelques milliers d'années, de nombreuses lignées se
sont différenciées génétiquement, ce qui indique que les personnes
d'un groupe donné ne faisaient plus d'enfants avec un autre groupe.
En tout cas, si on regarde, aujourd'hui, l'ADN mitochondrial qui en
subsiste, les mères ne se déplaçaient plus. Sur 94 échantillons
provenant d'autant de squelettes et momies examinés, les chercheurs
ont nettement différencié 84 lignées génétiques séparées.
Le contact avec les Européens : un cataclysme !
Cette structure est restée en place, de façon immuable, jusqu'à
l'arrivée des Européens. Puis elle s'est effondrée, et de façon
tellement brutale, pour ne pas dire cataclysmique, que les
chercheurs s'avouent incapables de le modéliser correctement. De
fait, il est actuellement impossible de trouver une seule personne
vivante portant encore les gènes de ces 84 lignées génétiques.
A l'arrivée des cohortes européennes (appelons un chat un chat…), de
nombreuses populations ont disparu jusqu'à leur dernier
représentant, affirme Bastien Llamas, un généticien de l’université
d’Adelaide et premier auteur de l’étude. Ripan Malhi, un généticien
de l’université de l’Illinois, estime que le génome et sa diversité
ont subi des pertes catastrophiques après le contact avec les
Européens.
Jean Etienne
Source principale :
Ancient mitochondrial DNA provides high-resolution time scale of the
peopling of the Americas (Science Advances 01 Apr 2016 -
Vol. 2, no. 4, e1501385 - DOI: 10.1126/sciadv.1501385).
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