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Peut-on honnêtement être à la fois conseiller
médical du groupe pétrolier Total, suivre l'état de santé de ses
dirigeants, et publier dans les médias des articles minimisant les
effets sur la santé du diesel, contredisant ainsi les conclusions
des principales études médicales ? Bien sûr que non, surtout si l'on
est spécialement rémunéré pour cela. Et c'est pourtant ce qui s'est
produit… durant plus de 25 années !
Michel Aubier, chercheur spécialisé dans les maladies respiratoires
à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale
(INSERM) et spécialiste de l’asthme à l’Hôpital Bichat-Claude
Bernard, a déclaré sous serment en avril 2015 à un comité d'enquête
du Sénat français que le lien entre la pollution de l'air incluant
les particules diesel et le cancer du poumon était très faible et
controversé. Il a aussi affirmé, toujours sous serment, qu'il
n'avait aucun lien avec les acteurs économiques impliqués dans ce
problème. |
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Cependant, le masque tombe brusquement en début
de ce mois, lorsque les médias français Libération, Le Canard
Enchaîné et Le Monde révèlent, preuves à l'appui, qu'Aubier était
rémunéré par l'entreprise Total en qualité de conseiller médical, à
hauteur de 50 à 60.000 euros par année depuis… 1990 ! Ainsi accusé
de parjure, le scientifique s'expose ainsi à une peine de prison et
à une lourde amende à l'issue d'un procès.
Aubier a été rémunéré pour minimiser le lien entre le cancer du
poumon et les émissions des moteurs diesel
La loi française prévoit une peine pouvant aller jusqu'à 5 années de
prison et 75.000 euros d'amende pour un faux témoignage, mais cette
sentence peut aller jusqu'à 7 années de prison et 100.000 euros si
ce témoignage a été appuyé par une rémunération, ce qui est
nettement le cas ici. En avril 2015, Aubier affirmait devant le
Sénat que la pollution de l'air provoquait l’asthme, la bronchite
chronique et aiguë, mais soutenait que l’impact de la pollution de
l’air sur le cancer du poumon était très faible et controversé, ce
que contredisaient toutes les études "sérieuses" publiées dans les
revues spécialisées.
Depuis 1988, le CIRC (Centre international de recherche sur le
cancer), qui fait partie de l'OMS, considérait déjà les particules
émises par les moteurs diesel comme probablement cancérigènes, un
effet définitivement confirmé en 2012.
Un groupe d’hôpitaux publics, l’Assistance Publique-Hôpitaux de
Paris (AP-HP), s’est distancié rapidement avec les actions d’Aubier.
Le groupe a déclaré qu’il ignorait qu’Aubier travaillait pour Total
avant l’audition du Sénat. Pour le moment, le Sénat enquête pour
confirmer les révélations des médias et son bureau va décider si
l’affaire doit faire l’objet d’un procès. Leila Aïchi, rapporteuse
de la commission, a déclaré que les arguments d’Aubier sont une
insulte pour le travail des sénateurs.
Un cas qui ne serait pas isolé
L'exemple de Michel Aubier ne serait cependant pas un cas isolé,
loin de là, déplore Martin Hirsch, directeur général des Hôpitaux de
Paris, qui déclare : "Cela fait des années que dans le secteur de la
santé, il y a des conflits d’intérêt dont certains ont provoqué des
morts. Je pense notamment au Mediator". Auditionné lui aussi par le
sénat, Martin Hirsch explique avoir mentionné la nécessité "d’une
évolution législative et réglementaire" sur les conflits d’intérêts
dans le domaine de la santé.
Jean Etienne
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