Un virus géant a appris à utiliser le génie génétique pour se confectionner un vaccin contre d'autres
infections virales.
Connaissez-vous Faustovirus, Marseillevirus, Mobilivirus ou encore
Pandoravirus ? Non ? il s'agit pourtant d'une catégorie de virus
tout à fait remarquables, non par leur dangerosité, mais par leur
taille exceptionnelle qui en fait des géants.
Depuis leur découverte au XIXème siècle, il était admis que les
virus étaient des entités biologiques tellement petites qu'elles ne
pourraient jamais être observées au microscope optique. Cela jusqu'à
ce qu'en 2003, des chercheurs de l'Université de la Méditerranée, à
Marseille, s'aperçoivent qu'une "bactérie" isolée pour la première
fois 11 ans plus tôt en Angleterre (dans une tour de climatisation
industrielle) était en fait un virus géant. Cette découverte devait
d'ailleurs faire l'effet d'une bombe chez les microbiologistes…
Les années suivantes, d'autres virus géants ont été découverts, que
nous citions plus haut (les scientifiques aiment leur donner des
noms facétieux…), dont certains ont pour caractéristique de pouvoir
être eux-mêmes infectés par un autre virus, un parasite de virus en
quelque sorte, dont le premier identifié a été baptisé "Spoutnik".
Mais aujourd'hui, c'est un système de défense aussi révolutionnaire
qu'inattendu qui vient d'être découvert et décrit par les chercheurs
de l'Institut Hospitalo-Universitaire Méditerranée, une stratégie
qui rend certains de ces virus géants totalement invulnérables aux
virus prédateurs.
Ciseaux moléculaires et génie génétique
Ce mécanisme, que les chercheurs ont appelé "mimivire", consiste
pour le virus agressé, un Mimivirus, à cannibaliser son agresseur,
ici le "Zamilon", et plus précisément à prélever une séquence de son
ADN qu'il va utiliser comme un leurre afin de harponner un autre
virus entre deux enzymes qu'il va découper lui aussi, explique le
professeur Didier Raoult dans une publication venant de paraître
dans Nature.
L'ADN du virus géant s'enrichit ainsi de longues suites formées de
nombreuses répétitions de la séquence prélevée sur le virus
agresseur, composées de 21 à 37 paires de bases selon le type
d'agresseur, baptisées CRISPR (acronyme anglais pour "courtes
répétitions en palindrome regroupées et régulièrement espacées"), et
qui fonctionnent comme un système immunitaire capable de garder la
mémoire d'une agression par un virus ou une séquence d'ADN
étrangère, afin de combattre ce même agresseur lorsqu'il menace de
nouveau le virus. En quelque sorte, on peut considérer que le virus
s'auto-vaccine, bien que le fonctionnement de ce mécanisme ne soit
pas entièrement compris.
Un précédent parmi les bactéries
Le système de défense CRISPR avait déjà été identifié et décrit chez
certaines bactéries depuis le début des années 2000, mais son
identification chez un virus est une première qui pourrait faire
jeter un regard nouveau sur la nature de ces entités que la science
hésite à qualifier de "vivantes". Mieux, elle pourrait amener à
revoir la définition de la vie elle-même.
Selon Didier Raoult, cette découverte annonce de nouvelles
applications, car le système de défense bactérien CRISPR avait
généré une technique de génie génétique révolutionnaire qui permet
aujourd'hui de manipuler facilement toutes les cellules, y compris
humaines, en remplaçant un gène ou un morceau de gène. Selon le
chercheur, Mimivire pourrait se révéler un outil aussi puissant et
efficace que les "ciseaux moléculaires" CRISPR, dont les Etsts-Unis
et la Grande-Bretagne se disputent âprement la propriété
intellectuelle… Autrement dit, ce sont à la fois des perspectives
enthousiasmantes et une nouvelle page de l'Histoire de la biologie
qui viennent d'apparaître sous l'égide des chercheurs auteurs de
cette découverte.
Jean Etienne
Source principale :
Mimivire is a defence system in mimivirus that confers resistance to
virophage (Nature, 29 février 2016. DOI
:10.1038/nature17146).
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