27 juin 2016

 

Les papyrus d'Herculanum déchiffrés sans les dérouler !

 
Une nouvelle technologie de tomographie à contraste de phase a permis d'accéder aux textes contenus sur des papyrus antiques, que leur extrême fragilité interdit formellement de dérouler. Un exploit qui relevait jusqu'il y a peu de la science-fiction, et qui ouvre la voie vers un nouveau type d'exploration de notre passé.

Ville romaine antique située en Campanie (Italie), Herculanum a été entièrement détruite par l'éruption du Vésuve en l'an 79 de notre ère. Conservée depuis dans une gangue volcanique, elle a été remise au goût du jour au 18ème siècle par les Bourbons qui régnaient alors sur Naples. Mais même si la cité ne présentait qu'une superficie de 12 hectares pour une population de 4000 habitants, seulement 4,5 hectares ont été dégagés à ce jour, et la plupart des édifices publics ou culturels sont encore inconnus.

Herculanum, et ses richesses interdites

Parmi les parties explorées ou mises au jour, la villa des Papyrus est un des sites les plus remarquables. Appartenant à Pison, qui n'est autre que le beau-père de Jules César, elle présente un intérêt exceptionnel par la richesse des découvertes qui y ont été réalisées, ainsi que par l'importance de son architecture.

Le trait le plus remarquable de cette construction est sans conteste sa bibliothèque, forte de quelque 1838 rouleaux de papyrus, qui ont été "miraculeusement" préservés de la destruction par les boues brûlantes de l'éruption, qui les ont littéralement enrobés. Cette "protection" a ainsi mis à l'abri du feu et de la lave brulante des textes se rapportant à la philosophie grecque, dont des fragments du "de la nature" en 37 livres de Lucrèce, divers textes épicuriens de Philodème de Gadara, dont certains ont été repérés en plusieurs exemplaires. Oui, mais voilà : comment extraire, puis dérouler, de fragiles papyrus noyés dans une boue solidifiée présentant toutes les caractéristiques de la roche, et cela sans les détruire ?

Déroulement virtuel

Théoriquement, la solution est simple : il suffit de s'introduire dans les rouleaux, et de les lire sans les dérouler. Oui, mais – et c'est là que se trouve la pierre d'achoppement – comment se faire tout petit, sachant l'on ne peut réduire sa propre taille, comme le suggéraient les auteurs du Voyage Fantastique (film américain de science-fiction réalisé en 1966 par Richard Fleischer) ?

Et c'est là qu'intervient le génie de deux instituts du Conseil National des Recherches : Nanotec-Cnr (Institut de Nanotechnologie) et Iliesi-Cnr (Lexique Intellectuel Européen et l’Histoire des Idées), dont une technologie d’avant-garde de tomographie à rayons X à contraste de phase a permis d’accéder aux textes contenus dans les rouleaux antiques sans les dérouler, de façon à préserver leur intégrité.
 

 
 
Aspect, obtenu en coupe par analyse tomographique, d'une partie d'un papyrus enroulé.
 
Cette recherche, publiée sur Scientific Reports, a mis en rapport diverses structures, parmi lesquelles l’European Synchroton Radiation Facility (ESRF) de Grenoble, le laboratoire de tomographie du Nanotec-Cnr de Rome, les laboratoires de physique de l’Université Tor Vergata et de l’Université de Calabre.

L'intérêt de cette avancée est inestimable sur le plan historique, car cette collection de plus de 1800 rouleaux de papyrus, qui se trouve en grande partie conservée à la Bibliothèque Nationale de Naples, demeure l’unique bibliothèque antique en possession de l'Humanité. “Nous avons analysé deux rouleaux de la collection avec une technique avancée de tomographie à rayons X, souvent utilisée dans le domaine médical, et appliqué une série d’algorithmes d’analyse de données, développée ad hoc pour le déroulement virtuel. Cette technique qui utilise l'émission de synchrotron a pour caractéristique d’amplifier le contraste entre l’écriture et le papyrus, et de permettre de distinguer au mieux le texte à l’intérieur”, explique Alessia Cedola, chercheuse au Nanotec-Cnr.

La lecture du texte grec, déchiffré grâce aux compétences de l’Iliesi-Cnr, a donné la voix à d’illustres philosophes grecs de l’école d’Epicure et à leurs œuvres inédites, jusqu’alors seulement en partie mises à jour. De telles découvertes pourraient révolutionner nos connaissances dans le champ de l’histoire de la philosophie antique et de la littérature classique.

Outre le contenu des textes, l’analyse a permis d’acquérir d’autres informations précieuses. Le déroulement de deux rouleaux a révélé des éléments intéressants jusqu’ici ignorés, comme les diverses typologies d’écriture, l’association erronée d’un papyrus et d’une portion déjà découverte par le passé et la présence de sable et de petits cailloux à l’intérieur, provenant probablement des évènements catastrophiques qui ont précédé l’éruption plinienne. Les multiples compétences accumulées dans ce domaine par le Cnr laissent espérer une amélioration considérable de notre connaissance de la bibliothèque qui appartenait au propriétaire de la “Villa dei Papiri”, dont un des descendants allait marquer l'Histoire de l'Humanité !

Jean Etienne

Sources principales :

CNR: Svolgimento virtuale per i papiri di Ercolano (Le Szience, 16 juin 2016).
Svolgimento virtuale per i papiri di Ercolano (Consiglio Nazionale delle Ricerche, 14 juin 2016).

 
 
 
Coupe d'un papyrus de la bibliothèque d'Herculanum, visualisé par tomographie. Il a été déchiffré...
 

 

 
 
 

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