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La nouvelle explosait à la une de tous les
médias il y a moins de 48 heures : une gigantesque cité Maya avait
été découverte par un ado en projetant les dessins des
constellations au sol ! Certains n'hésitant pas à mentionner la
stupéfaction, voire l'admiration, de la Nasa elle-même… qui se
recherche toujours à travers cette information qui s'avère,
finalement, de la plus haute fantaisie.
Eric Taladoire, à la fois archéologue et enseignant comptant plus de
40 (quarante !) années de recherches sur le terrain au cœur de
l'Amérique centrale et de la jungle précolombienne, est aussi
stupéfait que la Nasa devant cette "découverte". "Cette histoire
commence à nous fatiguer ! Tout est faux. Tout ! La presse a foncé
sans vérifier quoi que ce soit !", clame-t-il, en constatant que
des médias considérés comme "sérieux", comme le Figaro entre autres,
s'étaient laissés convaincre sans aucun questionnement par l'étrange
anecdote insolite affirmant qu'un jeune québécois de 15 ans, William
Gadoury, aurait découvert et localisé la troisième cité maya par
ordre d'importance (admirez la précision…) par l'étude des
constellations.
Et l'article originel de détailler l'élégance de la démarche : l'ado
canadien avait fait le lien entre les emplacements des étoiles
formant certaines constellations et la carte de distribution des
cités mayas en Amérique centrale, ce qui lui aurait permis de
découvrir un "trou", une "absence" : une ville n'avait pas encore
été découverte ! Notre ado avait alors fait appel à la Nasa ainsi
qu'à la Jaxa (agence spatiale japonaise) afin d'obtenir les images
satellites nécessaires à la découverte de la fameuse ville au cœur
d'une jungle réputée inaccessible quelque part dans la péninsule du
Yucatan, au Mexique, endroit de la "révélation" issue des
constellations…
Des cartes à géométrie variable
Devant la propagation à une vitesse quasiment "superluminique" de
cette rumeur, Eric Taladoire contacte rapidement les auteurs de
l'article, qui ricoche littéralement de média en média et se répand
dans la presse mondiale aussi efficacement que les métastases d'un
cancer généralisé. Il leur signale que la carte publiée et situant
la prétendue "troisième ville maya" comportait plusieurs erreurs,
donc était notoirement fausse. Eric Taladoire pensait alors avoir
résolu le problème, mais non ! Celle-ci était promptement remplacée
par une autre, dans laquelle la fameuse ville était déplacée de 200
ou 300 kilomètres, passant même du Belize au Mexique !
"Nous travaillons depuis plus de 20 ans dans cette région, une
équipe de chercheurs venant de Slovénie a ratissé toute cette
jungle, et on n'aurait rien trouvé ? On a été jusqu'à 80 ouvriers
sur place ! On nous parle de lieux 'inaccessibles et reculés', et
pourtant il y a des routes et des habitants sur ces lieux ! Les gens
qui ont répandu cette soi-disant découverte n'ont même pas consulté
une carte", martèle Eric Taladoire. Et d'ajouter que sur les
images fournies par Google Earth, accessibles à tous, une structure
que l'article présente comme une pyramide (de 87 mètres de hauteur,
selon notre ado), est en réalité… une plantation de cannabis !
Des attaques tous azimuts
Ivan Sprajc, chercheur slovène, a passé cinq années dans la région
en publiant des cartes extrêmement précises. De son propre aveu, il
n'est pas exclu qu'il ait laissé passer des sites, mais rien d'aussi
absurde en taille que ce qui a été avancé dans l'article relatant la
"découverte". Car en huit ans, non seulement lui mais d'autres
archéologues ont mis au jour de 25 à 30 groupes de cités mayas qui
s'étendent généralement sur quelques hectares, alors que William
Gadoury, notre ado préféré, avance une ville recouvrant de 80 à 120
km², soit approximativement la superficie de Paris, couronnée par
une pyramide de 87 mètres de haut ! "Tous mes collègues, pas
seulement en France, sont d'accord : c'est un rejet absolu !",
insiste-t-il.
Marie-Charlotte Arnauld, directrice de recherche au CNRS et
archéologue, fait remarquer que parmi la pléïade de scientifiques
qui valident cette théorie, on trouve des astronomes canadiens qui
ne connaissent pas du tout la région, mais pas un seul archéologue.
Et d'ajouter que même le National Geographic, revue prestigieuse de
l'organisme scientifique du même nom, était elle-même tombée dans le
même piège l'année dernière en publiant un article annonçant la
découverte de prétendues cités perdues dans le Nord-Est du Honduras.
Mais cette fausse publication avait alors été attaquée par plusieurs
universités avant qu'elle ne se répande dans la presse. Visiblement,
aujourd'hui, la vitesse de l'information est passée à un niveau
supérieur...
Quoi qu'il en soit, cette fameuse ville maya, la "troisième par
ordre d'importance", n'est pas près de disparaître de nos médias.
Car comment pourraient-ils démentir une information qui leur a
permis de vendre des tonnes de papier, de générer des millions
(milliards ?) de clics, de nous "offrir" un article "scientifique"
dûment encadré, ou même recouvert selon la dernière mode, de spots
publicitaires à la gloire de marques qui en sont, finalement, leur
seule raison d'exister ? Raison pour laquelle a contrario vous ne
verrez jamais de publicité sur Space News International…
Jean Etienne
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