Alors que les différentes religions semblent
aujourd'hui se baser sur des préoccupations spirituelles et morales,
cela n'a pas toujours été le cas et leur origine est plutôt à
rechercher du côté du développement économique des populations.
Entre environ 500 et 300 avant notre ère, trois régions distinctes,
les vallées du Yangzi Jiang et du Huang He, la Méditerranée
orientale, et la vallée du Gange voient l’émergence de traditions
religieuses très similaires comme le bouddhisme, le jaïnisme, le
brahmanisme, le taoïsme, le judaïsme, et la philosophie grecque qui
mettent l’accent sur le contrôle de soi, l’ascétisme et la réforme
morale. Cette convergence culturelle, souvent appelée "l’Âge Axial",
représente une énigme : pourquoi des religions présentant des
caractéristiques aussi proches ont-elles émergé au même moment dans
des civilisations aussi différentes ?
Cette émergence s’expliquerait par une hausse du niveau de vie,
selon un modèle développé par les auteurs (Nicolas Baumard ,
Alexandre Hyafil de l’Ecole normale supérieure, Ian Morris de
l’Université Stanford et Pascal Boyer du département de psychologie
de l’Université Washington et de l’Université de Lyon).
"Il semble presque évident aujourd’hui que la religion concerne
des préoccupations spirituelles et morales, mais ça n’a pas toujours
été le cas", explique Nicolas Baumard. "Dans les sociétés de
chasseurs-cueilleurs et au début des chefferies, par exemple, la
tradition religieuse était axée sur les rituels, les offrandes
sacrificielles, et les tabous visant à conjurer le mauvais sort et
le mal".Ces doctrines, écrivent les
chercheurs, "mettent toutes l’accent sur la valeur de la
’transcendance personnelle’, la notion que l’existence humaine a un
but, distinct de la réussite matérielle, qui repose sur une
existence morale et le contrôle de ses propres désirs matériels, à
travers la modération (dans la nourriture, le sexe, l’ambition,
etc.), l’ascétisme (le jeûne, l’abstinence, le détachement), et la
compassion (aider, souffrir avec les autres)".
L’énigme de cette convergence culturelle pourrait trouver sa réponse
dans les données historiques qui suggèrent une exceptionnelle
croissance de la capture énergétique (un indicateur de prospérité)
dans ces trois régions, juste avant la période axiale. Une
modélisation statistique de ces données confirme que le
développement économique, et pas la complexité politique, est
l’indicateur qui permet le mieux de rendre compte de l’émergence des
religions axiales.
Les chercheurs ont ainsi testé diverses théories en combinant la
modélisation statistique et des théories psychologiques basées sur
des approches expérimentales. Ils ont conclu que la richesse (le
développement économique) - ce qu’ils appellent la capture d’énergie
- explique le mieux ce qui est connu de l’histoire religieuse, et
non pas la complexité politique ou la taille de la population.
Leur modèle montre une nette transition vers les religions
moralisatrices lorsque les individus recevaient 2000 calories par
jour, un niveau d’abondance suggérant que les gens étaient
généralement en sécurité, avaient des toits sur la tête et beaucoup
de nourriture, à la fois dans le présent et dans un avenir
prévisible.
"Cela nous semble très élémentaire aujourd’hui, mais cette
tranquillité d’esprit était totalement nouvelle à l’époque",
souligne Baumard. "Les êtres humains vivant dans les sociétés
tribales ou même dans les empires archaïques connaissaient souvent
la famine et les maladies, et ils vivaient dans des maisons très
rudimentaires. Par contraste, la forte augmentation de la population
et l’urbanisation dans la période axiale suggère que, pour certaines
personnes, les choses commençaient à aller beaucoup mieux".
Cette conclusion correspond aux résultats récents en neurosciences
et en psychologie qui montrent que l’affluence et la sécurité ont eu
une incidence sur les systèmes de motivation humain, faisant passer
les individus d’une stratégie à court terme (basé sur l’acquisition
de ressources et les interactions coercitives) vers une stratégie à
long terme (contrôle de soi et investissement dans la coopération).
Il sera maintenant intéressant, disent les chercheurs, de tester si
d’autres caractéristiques familières de la société humaine moderne,
telles que le grand investissement parental et la monogamie à long
terme, pourraient avoir le même changement historique comme origine.
Sources principales :
Increased Affluence Explains the Emergence of Ascetic Wisdoms and
Moralizing Religions (Current Biology, DOI:
http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2014.10.063).
Wealth may have driven the rise of today’s religions
(Science).
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