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Le plus important satellite de Saturne, Titan,
possède de nombreuses caractéristiques qui en font un objet unique.
Parmi celles-ci, la présence de lacs a été détectée dès 2007 grâce
au radar de la sonde Cassini.
Ces étendues liquides participent au cycle « hydrologique » du
méthane. En effet, la température à la surface de ce satellite,
voisine de -183°C, implique une « hydrologie » et une géologie très
exotiques. Ainsi, la « croûte » titanienne est sans doute
majoritairement composée de glace d'eau, sur laquelle on doit
rencontrer des dépôts de matières organiques plus ou moins solubles
dans le méthane et l'éthane liquides.
En 2011, des observations infrarouges et radar ont permis de mettre
en évidence l'existence de dépôts évaporitiques. Localisés dans le
lit de lacs asséchés ou en cours d'asséchement, ces dépôts devraient
avoir une composition variée, et c'est précisément ce qui vient
d'être montré par une collaboration internationale, menées par un
chercheur du laboratoire du Groupe de spectrométrie moléculaire et
atmosphérique, GSMA (CNRS/Université de Reims Champagne-Ardenne).
Les simulations numériques réalisées par cette équipe indiquent que
les bords de ces dépôts pourraient être formés de cyanure
d'hydrogène, de dioxyde de carbone, de benzène… tous à l'état solide
et bien différents du carbonate de calcium et du chlorure de sodium,
dont on est familier sur Terre.
La géologie de Titan est dominée par la glace d'eau, à laquelle
s'ajoutent en surface des matériaux organiques. En effet, son
atmosphère, aussi dense que celle de la Terre, composée
principalement d'azote et de méthane, produit de nombreuses espèces
carbonées ou azotées. Les observations faites avec les instruments à
bord de Cassini et les modèles d'atmosphère, incluant la
photochimie, nous renseignent sur la nature de ces composés.
Certains, rencontrant les conditions thermodynamiques de leur
condensation, précipitent à la surface de Titan sous forme liquide
(c'est le cas de l'éthane) ou solide (comme pour le benzène ou le
butane).
A ceci s'ajoute un cycle « hydrologique » du méthane dans la
troposphère de Titan : des périodes d'averses de méthane, conduisant
au remplissage des lacs, sont suivies par des périodes plus sèches
pendant lesquelles une évaporation significative peut avoir lieu.
Durant celle-ci, les espèces organiques dissoutes peuvent atteindre
la saturation et précipiter sur le fond du lac. C'est ce scénario
qui est schématisé sur la figure 1 ci-dessous. Des simulations
numériques ont donc permis d'explorer la composition et la structure
de ces dépôts.
Les recherches menées sont largement pluridisciplinaires : les
calculs réalisés reposent sur la théorie « PC-SAFT 1» très utilisée
en ingénierie chimique ; de plus des modèles quantiques ont permis
de préciser les propriétés des solides organiques impliqués. Les
résultats obtenus indiquent l'existence d'une zone centrale (en
gris-bleu sur la figure 1.c) riche en acétylène et en butane. Le
retrait du liquide, au cours du processus d'évaporation, laisse
apparaître des « anneaux » plus ou moins concentriques, que les
anglophones appellent de façon imagée « bathtub rings ». Ces anneaux
(zones marrons et kakis sur les figures 1.b et 1.c) se divisent en
deux ou trois zones dont l'une est dominée par du cyanure
d'hydrogène (HCN), molécule toxique produite en grande quantité par
l'atmosphère de Titan. Suivant le scénario retenu, le ou les autres
« anneaux » peuvent contenir différentes quantités de dioxyde de
carbone, de benzène ou d'acétonitrile (CH3CN). L'épaisseur des
dépôts évaporitiques ne devrait pas excéder quelques millimètres si
l'évaporation d'une colonne initiale de 100 mètres de liquide en est
à l'origine. Cependant, la répétition annuelle, au cours de
l'histoire de Titan, de cycles de précipitation/évaporation a pu
conduite à des épaisseurs beaucoup plus importantes.
Globalement, les résultats des simulations sont en accord avec ce
qui est observé avec les instruments de Cassini. En outre, le grand
pouvoir solvant trouvé pour l'éthane liquide peut expliquer
l'absence d'évaporites dans la région du lac Ontario, situé dans la
zone polaire sud de Titan. Finalement, le radar montre une surface,
des parties centrales des dépôts, très brillantes aux longueurs
d'onde centimétriques. Ce fait intrigant peut être expliqué par
l'existence de deux phases cristallines, comme suggéré par les
simulations montrant les présences concomitantes de butane et
d'acétylène solide.
Bien que les modèles actuels puissent encore être améliorés, en
particulier en réalisant des expériences de laboratoire portant sur
la dissolution des molécules azotées, l'exploration in situ reste le
moyen ultime d'en découvrir plus. Plusieurs concepts de mission ont
été proposés ces dernières années, le dernier en date consistait en
un sous-marin dédié à l'exploration des lacs d'hydrocarbures. Une
possibilité plus intéressante, mais plus coûteuse, serait offerte
par un rover amphibie débutant sa mission par l'analyse des plages
d'évaporites, et la poursuivant ensuite dans le liquide d'une
formation lacustre partiellement remplie.
Source principale :
Structure of Titan's evaporites. Cornell University Library, par D.
Cordier, T ; Cornet, J. W. Barnes, S. M. MacKenzie, T. Le Bahers, D.
Nna-Mvondo, P. Rannou, A. Ferreira, Icarus, 2016. (CP).
>>>
La mission Cassini-Huygens sur le site de la Nasa.
>>>
La mission Cassini-Huygens sur le site de l'Esa. |
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