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Le
singe-écureuil Baker (crédit Nasa) |
Les préparatifs devaient s'accomplir dans le
plus grand secret. Tous les spécialistes en fusées, amenés de
Huntsville en avion spécial pour contrôler le missile, furent logés
dans des bâtiments de l'armée afin que leurs noms ne figurent pas
dans les registres d'hôtel et ainsi, ne puissent éveiller
l'attention des journalistes. On oublia malencontreusement de
prévenir les médecins de ces dispositions, et ils descendirent dans
un motel de l'endroit. Des bruits se répandirent comme une traînée
de poudre, disant que des médecins de la NASA se trouvaient à la
base et qu'un homme prendrait place dans le missile. Il fallut donc
bien reconnaître que l'expérience serait faite avec des singes, mais
les journalistes furent priés de ne pas divulguer le renseignement
avant l'envol...
Le vol balistique se déroula sans incident. La capsule Mercury
devait amerrir dans l'Atlantique. Après l'heure prévue, l'équipe de
Cap Canaveral envoya un message au navire chargé de la récupération
afin de savoir si les singes étaient en vie, mais ne put contacter
le bateau. Il se faisait de plus en plus tard, la mission était
terminée depuis longtemps, les journalistes s'impatientaient. A 5
heures 30 du matin, le Président des Etats-Unis en personne tenta de
s'enquérir. Sans résultat, et pour cause : on était sans nouvelles.
Le Général Yates, commandant de la base, essaya en vain de lancer un
appel au navire. En désespoir de cause, l'équipe renonça au code
secret de rigueur jusque-là dans toutes les communications et
diffusa un message en clair au vaisseau. La question fut envoyée : "Les
singes sont-ils en vie ?" Après une longue demi-heure arriva la
réponse : "OUI, OUI". Point à la ligne. Et il n'y avait pas
d'autre ligne. Cruel problème: comment interpréter ce message ?
Un responsable proposa : puisqu'il y a deux "oui", c'est que les
deux singes sont vivants. Objection d'un autre responsable : "oui
mais, s'il n'y a qu'un seul survivant, que se passera-t-il si nous
déclarons qu'ils sont tous deux vivants alors qu'un est mort ?"
On lui répondit : "dans ce cas, nous expliquerons que cette
fichue bête est morte après réception du message !"
On déclara les deux singes vivants. Deux heures après, on en était
vraiment sûr...
Le singe-écureuil Baker fut récupéré par la Marine et examiné, ainsi
que sa progéniture, durant plusieurs générations, sans conséquences
négatives. Le singe Rhésus de l'armée, Able, fut envoyé à Fort Knox
où un chirurgien lui ôta les appareils chargés d'enregistrer ses
réactions durant le vol. Un médecin militaire de l'équipe déclara
alors : "c'est tout ce qu'il avait à faire..." Et il tua le
singe.
Aujourd'hui, le pauvre animal est empaillé et son regard immobile
fixe les visiteurs du Smithsonian Institute, à Washington. De
mauvaises langues prétendent que juste à côté, un socle encore
inutilisé porte anticipativement le nom du médecin qui avait achevé
l'animal...
Sam, Miss Sam et puis... HAM !
Deux autres singes Rhésus, Sam et Miss Sam, prirent la route de
l'espace fin 1959 et début 1960. Ils survécurent tous deux et
permirent de mieux comprendre comment se comportait un organisme
évolué dans le cosmos. Mais le héros de la ménagerie expérimentale
des Etats-Unis fut sans contestation possible Chang, ou plutôt Ham.
Chimpanzé de son état, il était dressé à répondre à l'allumage de
différentes lampes en actionnant des manettes. Si c'était correct,
il recevait un morceau de banane, sinon, un faible courant
électrique lui chatouillait la plante des pieds.
Le 31 janvier 1961, Ham prit donc place à bord
d'une cabine Mercury, revêtu d'une combinaison spatiale
confectionnée à ses mesures. Le long de la trajectoire balistique
étaient répartis 8 bâtiments de Marine, des escadres entières de
navires de sauvetage, des hélicoptères et avions de reconnaissance.
Avec 4 heures de retard, la fusée Redstone le lança dans l'espace
pour un vol suborbital. Ce fut très inconfortable pour Ham. Il
amerrit à 240 km du navire de récupération, complètement seul dans
l'Atlantique. Lorsque les premiers hélicoptères arrivèrent enfin sur
les lieux, les techniciens constatèrent que la cabine était couchée
sur le flanc et avait pris 400 litres d'eau ! Heureusement, Ham
était sain et sauf.
Enos, premier singe en orbite
Un autre singe ouvrit la voie à John Glenn, le premier Américain à
être placé sur orbite. Provenant lui aussi du Cameroun et élevé à
Miami, le chimpanzé Enos (mot dérivé du grec et de l'hébreu
signifiant "homme") avait subi un entraînement particulièrement
intensif avec certains de ses congénères, car il s'agissait à
présent de réaliser une mise en orbite et non un simple vol
balistique. Ce n'est que trois jours avant le lancement qu'Enos fut
choisi, essentiellement en raison de son intelligence supérieure. |