Contrairement à la corne du scarabée rhinocéros,
le casque des membracides n’est pas une simple excroissance de la
cuticule. Il s’agit bien d’un appendice dorsal attaché de chaque
côté du thorax par une articulation, avec des muscles et de la
membrane flexible qui lui permettent d’être mobile, autrement dit
d’une paire d’ailes ! Ces observations anatomiques se confirment au
niveau génétique : les mêmes gènes interviennent pour le
développement du casque et des ailes. Cette troisième paire d'aile
serait apparue il y a environ 40 millions d'années avant de se
dédouaner complétements des contraintes structurelles liées au vol.
Les membracides sont donc bien des insectes à trois paires d’ailes,
dont l’une est profondément modifiée, méconnaissable.
Cette découverte est le premier exemple d’un changement du plan
d’organisation des insectes par l’ajout d’une nouveauté évolutive.
Ce plan se définit par un corps divisé en trois parties (tête,
thorax et abdomen), une paire d’antennes, trois paires de pattes et,
le plus souvent, deux paires d’ailes, toujours présentes sur le
deuxième et le troisième segment du thorax. Mais il existe des
variations autour de ce plan général : chez les mouches et les
moustiques, par exemple, les ailes postérieures sont réduites à de
petits ballons appelés balanciers. Chez les coléoptères, la première
paire est transformée en élytres. Chez d’autres, comme les puces,
les poux ou les punaises, les ailes ont totalement disparu.
Comment une nouvelle paire d’ailes a-t-elle pu apparaître chez les
membracides ? "Chez les insectes, la formation des ailes est
normalement réprimée sur tous les segments par les gènes Hox, sauf
sur le deuxième et le troisième segment thoracique" explique Nicolas
Gompel. Ce gène, un des principaux vecteurs de l’évolution, est très
important et sa mutation est létale dans près de la moitié des cas.
Le gène Hox qui intervient dans le premier segment du thorax, ne
serait-il pas exprimé chez les membracides ? Non, la protéine Hox,
le produit du gène, est bien détectée dans le casque en formation.
Ce gène serait-il inactif ? Là encore la réponse est non : son
injection chez la drosophile inhibe bien la formation des ailes.
"Nous sommes confrontés à un paradoxe : un gène Hox qui est capable
de réprimer la formation des ailes mais qui ne la réprime pas. Nous
pensons que les changements évolutifs touchent plutôt le programme
génétique de formation des ailes ; ces gènes seraient devenus
insensibles à la répression par le gène Hox", précise Nicolas
Gompel.
Ces résultats vont également à l’encontre de l’idée selon laquelle
le plan du corps est uniquement régi par les gènes Hox. En effet, le
gène Hox n’a pas changé alors que le plan du corps, lui, a évolué.
Jean Etienne
Source :
Body plan innovation in treehoppers through the evolution of an
extra wing-like appendage. Benjamin Prud’homme, Nicolas Gompel
et autres. CNRS, Nature.
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