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L'œil de l'astronome René Doyon pourrait être
le premier du genre humain à apercevoir une preuve de la vie
extraterrestre. À la tête de plusieurs projets de recherche majeurs,
notamment dans le cadre du lancement du télescope spatial James-Webb
en 2018, le professeur du Département de physique de l'Université de
Montréal a mis sur pied l'Institut de recherche sur les exoplanètes,
inauguré le 7 octobre.
Il souhaite regrouper les expertises des universités canadiennes
autour de cette quête. Sommes-nous seuls dans l'Univers ? Les
journalistes de la revue Les Diplômés, de l'Université de Montréal,
lui ont posé la question.
La découverte d'une planète vivante, c'est pour quand ?
R.D. : D'ici une décennie, nous aurons repéré des planètes
potentiellement habitables relativement proches de notre Soleil. Dix
ans, c'est une estimation prudente. Ça pourrait être bien avant.
Comment pouvez-vous être si affirmatif ?
R.D. : Les chercheurs disposeront dans deux ou trois ans
d'outils qui décupleront littéralement la vision qu'ils ont de
l'espace. Comme si leurs écrans passaient d'un coup du noir et blanc
à la haute définition. Le lancement du télescope James-Webb
constitue pour moi l'un des projets scientifiques les plus
importants de l'histoire humaine. Doté d'instruments d'une grande
complexité, il a nécessité des investissements de huit milliards de
dollars. Nous effectuerons aussi des observations à partir du sol,
avec des instruments comme le spectropolarimètre infrarouge [SPIRou],
qui réunit des chercheurs du Canada, de France, de Suisse, du
Brésil, de Taiwan et du Portugal. Présentement en cours de
fabrication, SPIRou trouvera les mondes les plus rapprochés du
Soleil qui pourraient être habitables. L'instrument est destiné au
télescope Canada-France-Hawaii pour une première lumière en 2017.
On a découvert déjà des milliers d'exoplanètes, grâce entre
autres au travail de votre équipe. Sont-elles de bonnes candidates ?
R.D. : Non, car elles sont beaucoup trop loin de notre Soleil
pour nous donner des informations précises sur la vie qui s'y
déploie. Les plus proches sont à plus de 300 années-lumière. Les
équipements actuels ne nous permettent pas de scruter ces objets
avec assez de précision pour y détecter la vie. Nous devons regarder
dans un rayon de quelques dizaines d'années-lumière. Quant à Kepler
452b, que la NASA a identifiée en juillet dernier comme une
«cousine» de la Terre, elle est beaucoup trop loin de nous, soit à
1400 années-lumière, pour qu'on puisse déceler son atmosphère et
confirmer si cette planète abrite des formes de vie. Il faudra
trouver des jumelles de la Terre beaucoup plus près du Soleil afin
qu'on puisse discerner leur atmosphère, étape essentielle pour
déterminer s'il y a de la vie.
À quoi ressemblera la première forme de vie extraterrestre
observée par l'humain ?
R.D. : On n'en sait rien, mais l'hypothèse la plus
consensuelle est qu'il y a eu une convergence évolutive dans
l'Univers. Cela signifie qu'une planète tellurique située dans la
«zone habitable» d'un système stellaire [ni trop loin ni trop proche
de l'étoile, ce qui permet la présence d'eau liquide, indispensable]
connaîtra sensiblement les mêmes étapes que la Terre. Nous ne nous
attendons pas à des formes de vie complexes, mais à une activité
bactérienne suffisante pour provoquer des réactions chimiques dans
l'atmosphère. Encore aujourd'hui, si l'on faisait disparaître tous
les animaux et toutes les plantes, les bactéries continueraient de
produire l'essentiel des ingrédients de notre atmosphère.
Où se situent les chercheurs montréalais à l'échelle
internationale pour ce qui est de l'avancement des connaissances ?
R.D. : Dans le peloton de tête, indiscutablement. L'UdeM y
fait bonne figure grâce notamment à l'Observatoire du Mont-Mégantic,
qui nous a permis d'acquérir une expertise reconnue en matière
d'instruments optiques. Au Québec, il y a une véritable
effervescence dans ce secteur. On trouve des chercheurs et des
étudiants extrêmement brillants dans tous nos départements de
physique. L'Institut de recherche sur les exoplanètes a été créé
pour concentrer ces forces. Nous avons obtenu pour nos travaux en
mars dernier un financement de neuf millions de dollars de la
Fondation canadienne pour l'innovation.
Vous pourriez contribuer à éclairer l'une des plus vieilles
questions de l'humanité...
R.D. : Je ne peux pas croire que nous sommes seuls dans
l'Univers. Mais nous manquons de preuves empiriques pour l'affirmer.
Nous pourrons bientôt en présenter.
Propos recueillis par Mathieu-Robert Sauvé.
Cet article est extrait de la revue "Les Diplômés" éditée par
l'Université de Montréal (n°429 - Automne 2015). |
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