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L'expansion accélérée de l'Univers constitue
un des plus grands mystères auquel les astronomes doivent
actuellement faire face. Pour tenter de le résoudre, les chercheurs
vont dresser une carte en 3D de la distribution de 30 millions de
galaxies, de la plus proche à la plus lointaine.
Selon toute logique, si l'Univers visible était issu d'un seul point
d'origine comme le voudrait la théorie du Big Bang, la force
d'attraction, qui s'étend à l'infini, devrait en ralentir
l'expansion. Or, il est maintenant démontré que ce n'est pas le cas
et que les galaxies accélèrent tout en s'éloignant. La force en
œuvre, baptisée "énergie noire", n'est pas identifiée.
Pour résoudre l'énigme, ou du moins le tenter, les chercheurs de
l'EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne) vont cartographier
la distribution des galaxies de manière extrêmement précise. Ils
entreprennent pour cela le programme DESI (Dark Energy
Spectroscopic Instrument), piloté par le Laboratoire Lawrence
Berkeley (LBNL, USA), et qui a pour objectif de relever
individuellement les caractéristiques de 30 millions de galaxies
parmi les quelque 100 à 200 milliards actuellement estimées, afin de
mieux cerner et décrire les effets, donc la nature, de cette fameuse
énergie sombre.
Faisant partie des objets les plus lointains accessibles à
l'observation, les galaxies, émettent dans notre direction un
rayonnement lumineux qui est aussi un témoin de l'expansion de
l'Univers. En effet, plus la galaxie est éloignée, plus elle
s'éloigne rapidement, ce qui par effet Doppler fait glisser la
fréquence de la lumière vers le rouge, un phénomène que les
astronomes appellent le "redshift". La plus lointaine connue à ce
jour est EGS-zs8-1, dont le redshift nous indique une distance de
13,1 milliards d'années-lumière. Elle nous apparaît donc telle
qu'elle était au tout début de l'Univers.
Un véritable travail d'horloger
La préparation du programme requiert patience d'horloger et doigts
de fées… Pour cela, les chercheurs placent de nombreuses fibres
optiques au plan focal du télescope Mayall de 4 mètres au Kitt
Peak National Observatory (Arizona). Disposées manuellement avec
une précision redoutable, chacune des fibres ne doit capter que le
signal de la galaxie visée. Pour cela, un gabarit est confectionné,
percé d'un millier de petits trous dont la position correspond
exactement à la lumière d'une galaxie reçue au plan focal du
télescope. Les fibres sont ensuite placées manuellement une à une
dans ces trous. Ainsi, la lumière de chaque galaxie, donc son
redshift, peut être mesuré sans aucune interférence avec ses
voisines. Cependant, l'observation d'un nouveau champ de galaxies
nécessite la confection d'une nouvelle plaque, une opération lente
et fastidieuse.
Cependant, le passage d'un champ visuel à un autre nécessite la
confection d'un nouveau gabarit, ce qui rend le procédé
particulièrement lent et limite la quantité d'observations. Aussi,
l'idée est ensuite de construire une plate-forme comprenant cette
fois 5000 fibres optiques, non plus immobilisées dans un gabarit,
mais pilotées individuellement par 5000 petits robots mobiles
couvrant la totalité du plan focal du télescope. Ces robots
ultra-précis et miniaturisés seront réalisés à l’EPFL par les
équipes de l’astrophysicien Jean-Paul Kneib, des roboticiens Mohamed
Bouri et Hannes Bleuler, en collaboration avec des collègues de
l’Université du Michigan et du LBNL.
Ce dispositif sera capable de repositionner les 5000 fibres optiques
en moins d'une minute selon le champ du ciel observé, et d'établir
en une seule nuit et 30 repositionnements les caractéristiques
extrêmement précises de 150.000 galaxies, de façon à rapidement
atteindre l'objectif final de 30 millions de galaxies. L'énorme base
de données ainsi obtenue permettra alors de mesurer la relation
entre la distance et le redshift dans l'ensemble de l'Univers avec
une précision de quelques dixièmes de pourcents, contre 1 à 2%
actuellement.
De l'automobile à l'astronomie
Le logiciel de positionnement des petits robots a été confié à Laleh
Makarem, post-doctorante au laboratoire de Denis Gillet à l’EPFL,
qui auparavant travaillait sur… la modélisation du trafic automobile
urbain. "Les algorithmes que je développais représentaient chaque
véhicule de manière indépendante", explique Laleh Makarem. "Les
véhicules se meuvent comme des entités séparées, qui se calent sur
les mouvements des autres et évitent les collisions. C’est
exactement le même principe qui fait se mouvoir les 5000 robots".
Les micro-robots seront conçus par les chercheurs de l'EPFL et
assemblés aux Etats-Unis, à l’Université du Michigan, et seront
équipés d'un moteur miniature couplé à un étage réducteur jouant le
rôle d'une boîte de vitesses. Après un premier déplacement
relativement rapide, ils ralentiront afin que leur tête de
positionnement s'immobilise avec une précision de 5 microns, à
l'endroit exact où aboutit la lumière de la galaxie à observer.
Le dispositif complet sera déployé en 2019 au Télescope Mayall, en
Arizona.
Jean Etienne
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