L'orbite de la Lune est inclinée d'environ 5°
par rapport à celle de notre planète autour du Soleil. Or, selon les
théories généralement admises, notre satellite s'est formé à partir
d'un disque de débris à hauteur de l'équateur terrestre, produit par
une collision pendant sa formation. L'inclinaison de la trajectoire
lunaire devrait donc être pratiquement nulle, ce qui constitue un
paradoxe.
Mieux : les effets de marée entre les deux corps tendent à réduire
cette inclinaison avec le temps, et le calcul démontre que
l'inclinaison de la Lune devrait être de 10° au moment de sa
formation, au lieu de 1° au grand maximum suivant les modèles de
formation classiques. Un long mystère… qui vient de trouver une
explication.
Kaveh Pahlevan et son collaborateur Alessandro Morbidelli, de
l’Observatoire de la Cote d’Azur du CNRS, proposent une solution
tellement simple qu'on pourrait se demander pourquoi elle n'a pas
été évoquée plus tôt… Ils suggèrent que la Lune nouvellement formée
pourrait avoir subi l'effet gravitationnel d'un gros corps passant à
proximité, sans toutefois l'impacter. Il a en effet été démontré que
le passage rapproché d'un ou deux corps massifs peut modifier la
trajectoire de notre satellite, et induire le changement
d'inclinaison encore observé aujourd'hui.
Une explication provenant de la Terre…
C’est en étudiant la composition chimique de la croûte terrestre en
métaux précieux comme l’iridium, le platine ou l’or que les
chercheurs ont découvert les indices qui leur permettent de
consolider cette hypothèse. Car ces métaux sont ce qu’on appelle des
sidérophiles : ils possèdent une forte affinité chimique avec le
fer. Or la Terre s’est formée à haute température où la matière
était liquide, y compris le fer, et c’est d'ailleurs pourquoi on
retrouve aujourd’hui ce métal en très grande majorité au centre de
la Terre. Il a simplement "coulé" à cause de sa densité élevée,
emmenant avec lui de grandes quantités de métaux sidérophiles comme
l’or ou le platine, laissant les couches externes appauvries en ces
métaux précieux.
…puis de la Lune
Pourtant, nous trouvons encore aujourd'hui ces métaux dans la croûte
terrestre avec une abondance non négligeable, ce qui signifie
clairement qu'ils ont été déposés là bien après la migration du fer
vers le centre de notre globe. Cet ajout de masse en surface est
aujourd'hui évalué à environ 1 % de la masse totale de notre
planète. Or, si ces métaux supplémentaires avaient été apportés par
une multitude de petits astéroïdes ayant bombardé la Terre, on en
retrouverait en proportions égales à la surface de la Lune. Mais la
composition de la surface du sol sélène est aujourd'hui bien connue,
et elle ne correspond pas du tout à un tel apport.
Il apparaît donc face à ces observations que cet apport de masse
extérieur dans la croûte terrestre aurait été plus probablement le
fait, non pas d'une foultitude de petits astéroïdes, mais de
quelques gros corps, de tailles comparables à celle de la Lune
elle-même.
Les simulations de Pahlevan et Morbidelli montrent que la période la
plus favorable pour la déviation de l’inclinaison lunaire par ces
perturbations fut la phase d’une dizaine de millions d’années
seulement suivant la formation de la Lune. Dans un premier temps, la
Lune s'est rapidement éloignée de la Terre par rapport à sa distance
initiale de formation d’environ 20.000 km (aujourd’hui 380.000km),
ralentissant sur son orbite et devenant ainsi de plus en plus
sensible aux perturbations. Par la suite, le nombre de gros
astéroïdes ou planétésimaux pouvant perturber l’orbite de la Lune
s'est peu à peu réduit, jusqu’à ce qu’ils disparaissent les uns
après les autres en quelques dizaines de millions d’années.
Jean Etienne
Source :
Collisionless encounters and the origin of the lunar inclination
(Nature 527, 492–494 ,26 Novembre 2015).
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