|
Conçu à l'origine pour éviter le recours aux
insecticides, le coton Bt enchantait les agriculteurs de ses
promesses. Mais aujourd'hui, non seulement les insectes ont appris à
lui résister, mais ils profitent de l'absence d'insecticides pour
encore mieux proliférer.
Autorisé à la culture et à la vente depuis plus de dix ans, le coton
Bt est aujourd'hui cultivé dans plus de 20 pays en Afrique, Amérique
du Nord et du Sud, ainsi qu'en Chine, et faisait l'orgueil de la
société Monsanto qui commercialise cet OGM. Mais le bilan est loin
d'être aussi idyllique et il faut bien convenir que l'énorme battage
publicitaire des multinationales sur leur merveille est noyé dans la
mer des dettes contractées par les cultivateurs et les problèmes de
nuisibles et de maladies.
Bien qu'autorisé en Inde depuis 2002, le coton Bt y était déjà
cultivé clandestinement depuis 1998 avant qu'en 2001, des ingénieurs
de la société Monsanto, intrigués par l'étonnante résistance du
coton à une épidémie parasitaire, aient eu l'idée d'effectuer des
prélèvements… Pour une raison ou une autre, des semences OGM
s'étaient en effet "échappées" des laboratoires et avaient été
distribuées de cultivateur à cultivateur. La pluie d'amendes qui
s'ébattit sur la presque totalité du monde agricole indien en
acculèrent une grande partie à la faillite, mais la publicité faite
autour de cet évènement fut telle que le gouvernement indien,
d'abord réticent, fut ensuite contraint à autoriser officiellement
la commercialisation de la semence.
En 2002, 45.000 hectares de terrain furent plantés de coton Bt
(variété N-145), chiffre porté à 500.000 hectares en 2005. Monsanto
exultait. Mais ce qui se passait sur le terrain était tout autre…
|
|
|
Plus dure fut la chute…
Le professeur P.V. Satheesh, responsable de la Coalition de l'Andhra
Pradesh pour la défense de la diversité à l'Université de New Delhi,
résume les quatre premières années de la culture du coton Bt en
Inde: "La première année (2002), le coton Bt fut un désastre,
produisant 35% de moins que le coton non Bt, alors qu'il coûtait 4
fois plus. La troisième année, de nouvelles maladies se sont
propagées dans le sol et la plante. Le bétail qui broutait le coton
Bt a commencé à mourir. Et en 2006, les plants de Bt ont commencé à
flétrir, obligeant les cultivateurs à les déraciner à contrecœur. La
maladie s'est propagée aux villages voisins, répandant la panique
parmi les cultivateurs".
De violentes manifestations se déroulaient alors, tandis que le taux
de suicides d'agriculteurs lié à l'échec du coton Bt et aux
difficultés financières qui s'ensuivaient dépassait 100 suicides par
mois à partir de 2007. Et alors que le coton Bt était définitivement
retiré du marché en Inde, des faits similaires étaient rapportés des
Etats-Unis, où les dégâts causés par les insectes secondaires, comme
les punaises puantes et les punaises des plantes, avaient
considérablement augmenté depuis l'introduction du coton Bt
(commercialisé sous la marque Bollgard). De fait, certains
cultivateurs se voyaient obligés, pour contrer l'envahissement de
ces insectes devenus résistants, de réintroduire l'utilisation
d'insecticides à des doses allant jusqu'à trente fois celle
appliquée sur du coton "normal". Certains remarquaient que le coton
non OGM planté en zone "refuge", sur les plus mauvais terrains,
prospéraient mieux que le coton OGM, cinq fois plus cher et bombardé
de produits chimiques…
290.000 suicides en Inde
"Ces 20 dernières années, 290.000 agriculteurs se sont suicidés",
affirme en 2015 le docteur Ramanjaneyulu du
Centre for
Sustainable Agriculture (Tanaka – Inde). "Un certain
nombre de veuves et de membres de familles d'agriculteurs racontent
la même histoire : pour pouvoir cultiver du coton génétiquement
modifié, de nombreux agriculteurs se sont endettés. Et lorsqu'il
s'est avéré que les cultures n'étaient pas rentables, ils se sont
suicidés en avalant une bouteille de pesticide".
Aujourd'hui, une nouvelle étude de terrain sur 12 ans de cultures
dans le nord de la Chine révèle que l'utilisation de coton Bt et
l'abandon des pesticides traditionnels a conduit là aussi à un
changement dans les populations d'insectes nuisibles de la région,
avec une spectaculaire augmentation d'un type de punaises
jusqu'alors en faible quantité, Adelphocoris lineolatus. qui a
ravagé 26 millions d'hectares de cultures maraîchères et fruitières
traditionnelles, touchant 10 millions de petits exploitants du Hebei
et du Shandong. De ce fait, ceux-ci ont dû fortement augmenter
l'usage des pesticides chimiques pour sauver les récoltes, avec un
succès très mitigé.
Jean Etienne
|
|