18 novembre 2015

 

L'échec du coton Bt

 
Conçu à l'origine pour éviter le recours aux insecticides, le coton Bt enchantait les agriculteurs de ses promesses. Mais aujourd'hui, non seulement les insectes ont appris à lui résister, mais ils profitent de l'absence d'insecticides pour encore mieux proliférer.

Autorisé à la culture et à la vente depuis plus de dix ans, le coton Bt est aujourd'hui cultivé dans plus de 20 pays en Afrique, Amérique du Nord et du Sud, ainsi qu'en Chine, et faisait l'orgueil de la société Monsanto qui commercialise cet OGM. Mais le bilan est loin d'être aussi idyllique et il faut bien convenir que l'énorme battage publicitaire des multinationales sur leur merveille est noyé dans la mer des dettes contractées par les cultivateurs et les problèmes de nuisibles et de maladies.

Bien qu'autorisé en Inde depuis 2002, le coton Bt y était déjà cultivé clandestinement depuis 1998 avant qu'en 2001, des ingénieurs de la société Monsanto, intrigués par l'étonnante résistance du coton à une épidémie parasitaire, aient eu l'idée d'effectuer des prélèvements… Pour une raison ou une autre, des semences OGM s'étaient en effet "échappées" des laboratoires et avaient été distribuées de cultivateur à cultivateur. La pluie d'amendes qui s'ébattit sur la presque totalité du monde agricole indien en acculèrent une grande partie à la faillite, mais la publicité faite autour de cet évènement fut telle que le gouvernement indien, d'abord réticent, fut ensuite contraint à autoriser officiellement la commercialisation de la semence.

En 2002, 45.000 hectares de terrain furent plantés de coton Bt (variété N-145), chiffre porté à 500.000 hectares en 2005. Monsanto exultait. Mais ce qui se passait sur le terrain était tout autre…

 

 
 

Plus dure fut la chute…

Le professeur P.V. Satheesh, responsable de la Coalition de l'Andhra Pradesh pour la défense de la diversité à l'Université de New Delhi, résume les quatre premières années de la culture du coton Bt en Inde: "La première année (2002), le coton Bt fut un désastre, produisant 35% de moins que le coton non Bt, alors qu'il coûtait 4 fois plus. La troisième année, de nouvelles maladies se sont propagées dans le sol et la plante. Le bétail qui broutait le coton Bt a commencé à mourir. Et en 2006, les plants de Bt ont commencé à flétrir, obligeant les cultivateurs à les déraciner à contrecœur. La maladie s'est propagée aux villages voisins, répandant la panique parmi les cultivateurs".

De violentes manifestations se déroulaient alors, tandis que le taux de suicides d'agriculteurs lié à l'échec du coton Bt et aux difficultés financières qui s'ensuivaient dépassait 100 suicides par mois à partir de 2007. Et alors que le coton Bt était définitivement retiré du marché en Inde, des faits similaires étaient rapportés des Etats-Unis, où les dégâts causés par les insectes secondaires, comme les punaises puantes et les punaises des plantes, avaient considérablement augmenté depuis l'introduction du coton Bt (commercialisé sous la marque Bollgard). De fait, certains cultivateurs se voyaient obligés, pour contrer l'envahissement de ces insectes devenus résistants, de réintroduire l'utilisation d'insecticides à des doses allant jusqu'à trente fois celle appliquée sur du coton "normal". Certains remarquaient que le coton non OGM planté en zone "refuge", sur les plus mauvais terrains, prospéraient mieux que le coton OGM, cinq fois plus cher et bombardé de produits chimiques…

290.000 suicides en Inde

"Ces 20 dernières années, 290.000 agriculteurs se sont suicidés", affirme en 2015 le docteur Ramanjaneyulu du Centre for Sustainable Agriculture (Tanaka – Inde). "Un certain nombre de veuves et de membres de familles d'agriculteurs racontent la même histoire : pour pouvoir cultiver du coton génétiquement modifié, de nombreux agriculteurs se sont endettés. Et lorsqu'il s'est avéré que les cultures n'étaient pas rentables, ils se sont suicidés en avalant une bouteille de pesticide".

Aujourd'hui, une nouvelle étude de terrain sur 12 ans de cultures dans le nord de la Chine révèle que l'utilisation de coton Bt et l'abandon des pesticides traditionnels a conduit là aussi à un changement dans les populations d'insectes nuisibles de la région, avec une spectaculaire augmentation d'un type de punaises jusqu'alors en faible quantité, Adelphocoris lineolatus. qui a ravagé 26 millions d'hectares de cultures maraîchères et fruitières traditionnelles, touchant 10 millions de petits exploitants du Hebei et du Shandong. De ce fait, ceux-ci ont dû fortement augmenter l'usage des pesticides chimiques pour sauver les récoltes, avec un succès très mitigé.

Jean Etienne
 

 

 
Adelphocoris lineolatus, un miiridé comblé par les cultures de coton Bt. Source : Grain Seeding.
 

 

 
 
 

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