11 décembre 2015

 

Première observation directe du champ magnétique d'un trou noir

 
Pour la première fois, des astronomes ont détecté la présence d’un champ magnétique autour du trou noir qui se trouve au centre de la voie lactée, une observation qui promet de révolutionner notre connaissance de ces monstres.

Si ces champs magnétique n’existaient pas, "beaucoup d’astrophysiciens théoriques devraient tout reprendre de zéro" d’après le Dr. Avery Broderick, professeur assistant au département de physique et astronomie de l’Université de Waterloo (Canada) et qui faisait aussi partie de l’équipe qui avait découvert de hauts niveaux de polarisation dans les émissions radio de Sagittarius A*, cette puissante source radio jugée comme étant la manifestation astronomique du trou noir présent au centre de notre Voie Lactée.

Cette découverte a été permise par l'utilisation du Télescope Event Horizon (EHT), un réseau de télescopes de longueur d’onde de l’ordre du millimètre réparti sur toute la planète et conçu pour produire des images de très haute résolution. En scrutant la région du trou noir au centre de notre galaxie, Sagittarius A*, il peut en distinguer les détails structuraux du flux d’accrétion qui en entoure l’horizon. Même si l'observation relatée ici a été effectuée via seulement trois des sites du réseau EHT, elle annonce déjà une révolution dans notre compréhension des trous noirs.

Les trous noirs, ces monstres cosmiques

Comme leur nom l'indique, les trous noirs sont intrinsèquement sombres, aucune lumière ou matière n’étant capable de s’en échapper après avoir franchi un point de non-retour défini comme étant l'"horizon des évènements". Cependant, un disque d'accrétion alimenté par la matière et les étoiles se forme autour du trou noir avant d'y être absorbées, lequel peut briller et produire une énergie extraordinaire qui en trahit la présence.

 
Structure d'un trou noir.

En comparaison à de nombreux autres trous noirs, Sagittarius A* paraît plutôt anémique et sa "brillance" ne dépasse pas celle d'une étoile moyenne, malgré sa masse gigantesque. Mais les données fournies par EHT apportent des éclaircissements sur la manière dont la matière se dirige vers les trous noirs pour finalement disparaître à travers ce fameux "horizon des évènements", et grossir en ce que le Dr. Broderick appelle "le monstre qui se cache dans la nuit".

Cette observation promet aussi de comprendre le phénomène inverse, selon lequel certains trous noirs sont capables d’émettre des flux d’énergie et de matière à une vitesse frôlant celle de la lumière, étendant l’impact des trous noirs à des échelles intergalactiques.

Le rôle des champs magnétiques

Depuis longtemps, les astrophysiciens tentaient, par force calculs et simulations informatiques, de démontrer la contribution du champ magnétique des trous noirs à leur processus de croissance. Survenait alors le problème du moment cinétique.

En effet, si la Terre ne tombe pas autour du Soleil, c'est précisément à cause de la conservation du moment cinétique, autrement dit de la force d'inertie qui en maintient une vitesse constante le long de son orbite. Pourtant, un trou noir ne cesse de grossir, donc un certain processus physique doit supprimer le moment cinétique du gaz et des matières qui alors y tombent.

C’est là que les champs magnétiques interviennent. Ceux-ci peuvent former des boucles, tourner et repousser la matière qui est en train de chuter, puis la fusionner à la matière qui s’écoule du trou noir. Ces tractions, répulsions et pressions génèrent des viscosités nécessaires à la régulation du flux de moment cinétique, permettant au trou noir de grandir. Sans ces champs magnétiques, l’accrétion s’arrêterait et les jets s’écrouleraient, d’après la prédiction des modèles. Mais bien que ces explications satisfassent déjà les théoriciens, une preuve par l'observation était encore nécessaire. La mesure d’une polarisation élevée fournit cette preuve.

Celle-ci démontre que l'émission radio de Sagittarius A* est générée par des électrons de haute énergie circulant sur les lignes de champ magnétique. Ceci produit une émission hautement polarisée à échelle microscopique, liée à l’orientation locale du champ magnétique, de telle manière que la polarisation en suive la structure. Détecter des polarisations élevées de la taille de l’horizon du trou noir de Sagittarius A* atteste d’une part de la présence de champs magnétique ordonnés ; d’autre part, cela fournit une mesure de la taille type de ces structures magnétiques.

 

 

 
Atacama Submillimeter Telescope Experiment (ASTE), un des télescopes du réseau, au Chili.
 
La promesse d'une cascade de découvertes

Et l'avenir promet plus encore. Car prendre des images du disque d’accrétion autour du trou noir au centre de notre propre galaxie, même si sa masse est de 4,5 millions de fois supérieure à celle du Soleil, demeure un exploit si l'on pense que le diamètre de son horizon d'évènement est plus petit que l'orbite de Mercure. A la même échelle, il s'agit de détailler un pamplemousse déposé à la surface de la Lune… Ce qui est tout-à-fait dans les cordes de l'EHT !

Selon le Dr Broderick, le nombre de télescopes participant au réseau EHT est largement suffisant pour obtenir des images extrêmement détaillées dans les prochaines années, ce qui permettra aux astrophysiciens de complètement transformer leur compréhension de la croissance des trous noirs, de leur interaction avec leur environnement, et même, quête suprême, la nature de la gravité.

Car, il n'en doute pas, l'étude détaillée des "embouteillages" cosmiques provoqués par les gaz lorsqu'ils se dirigent vers le trou noir permettront aux chercheurs de vérifier la théorie de la relativité générale d'Einstein, un des grands piliers de la physique moderne, confirmant - ou non - de nombreuses idées à propos des trous noirs.

Jean Etienne

Sources et informations complémentaires :

Resolved magnetic-field structure and variability near the event horizon of Sagittarius A*, Science, 4 décembre 2015 : Vol. 350 no. 6265 pp. 1242-1245 DOI : 10.1126/science.aac7087.
Nouvelles de l’université de Waterloo (Canada).
Réseau Event Horizon Telescope (site officiel)
 

 

 
Photographie de Sagittarius A* (au centre) et de deux échos lumineux provenant d'une explosion récente (entourés). Crédit : Chandra X-Ray Observatory (Nasa).
 

 

 
 
 

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