Le groupe de recherche du professeur
Tomislav Friščić, du Département de chimie de l’Université McGill,
s’est forgé une solide réputation dans le domaine peu connu, mais en
pleine croissance, de la mécanochimie, où les transformations
chimiques s’effectuent en concassant, broyant ou cisaillant des
ingrédients à l’état solide. Des techniques faisant appel à la force
brute plutôt qu’à des agents liquides très recherchés. "Votre
moulin à café broie un produit, et le broyage de molécules dans un
laboratoire repose sur un principe similaire", explique le
professeur Friščić. L’usage de la force mécanique présente également
un important avantage, puisqu’il permet d’éviter le recours à des
solvants en gros nocifs pour l’environnement.
À la fin de 2012, une équipe transatlantique de chercheurs codirigée
par le professeur Friščić a rapporté avoir observé une réaction de
broyage en temps réel, à l’aide de rayons X à forte pénétration qui
lui a permis d’observer les changements extrêmement rapides survenus
lorsque le broyeur a mélangé, moulu et transformé des ingrédients
simples pour en faire un produit complexe. Cette technique a permis
aux chercheurs de découvrir un matériau organométallique de courte
durée, doté d’une structure inhabituelle, et créé pendant le
processus de broyage. Dans un article publié le 23 mars 2015 dans la
revue spécialisée Nature Communications, les scientifiques l’ont
appelé « katsénite », du nom de l’auteur principal de l’article,
Athanassios D. Katsenis. Maintenant boursier postdoctoral à McGill,
Athanassios Katsenis était alors étudiant en visite dans le groupe
du professeur Friščić lorsque l’étude a été réalisée. Il a analysé
la topologie du matériau ‒ la disposition et les connexions entre
les nœuds structurels de son réseau cristallin ‒ et découvert que
les résultats ne correspondaient à rien de connu.
Cette découverte apporte la première preuve concrète d’un phénomène
dont les scientifiques soupçonnaient l’existence depuis longtemps :
le broyage entraîne la création de phases temporaires caractérisées
par des structures chimiques que les conditions habituelles ne
permettent pas d’obtenir.
"S’il est peu probable que cette structure de type katsénite soit
d’une quelconque utilité pratique, cette découverte représente une
véritable percée qui influe sur notre compréhension du traitement à
grande échelle des matériaux et ouvre la porte à un nouvel
environnement propice à la création de structures auparavant
inaccessibles", affirme le professeur Friščić. Par ailleurs, "c’est
tout simplement formidable qu’un type de structure chimique porte le
nom d’un chercheur mcgillois !".
Cette capacité à produire de nouveaux
matériaux offre de nouvelles possibilités dans de nombreux secteurs,
comme un certain nombre d'industries de base, de la transformation
des minéraux à la fabrication pharmaceutique.
Ont également collaboré à cette étude un groupe de scientifiques
dirigé par Ivan Halasz, de l’Institut Ruđer Bošković (Croatie),
ainsi que des chercheurs de l’Institut Max-Planck pour la recherche
sur l’état solide (Allemagne) et de l’Installation européenne de
rayonnement synchrotron (France).
Source :
In situ X-ray diffraction monitoring of a mechanochemical reaction
reveals a unique topology metal-organic framework (Nature
Communications, 23 mars 2015).
|