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Même si les campagnes de
responsabilisation limitent l'usage inconsidéré des antibiotiques,
ceux-ci parviennent tout de même à pénétrer dans notre organisme par
la petite porte… et induire les mêmes effets dommageables.
Largement utilisés dans l'élevage non en usage vétérinaire mais
comme facteur de croissance, les antibiotiques à base de
tétracycline exercent une fonction inattendue sur le développement
de nombreux organismes, induisant même une importante pollution des
sols.
Même s'ils permettent de sauver des vies, les antibiotiques ne sont
jamais inoffensifs. Une nouvelle étude de l'Institut Polytechnique
de Lausanne (EPFL - Suisse), en collaboration avec deux autres
équipes de recherches, suisse (Bart DePlancke) et néerlandaise
(Riekelt Houtkooper), démontre que certains d’entre eux ont des
effets inattendus sur le développement des organismes. Les
chercheurs ont pu constater des effets sensibles, à des
concentrations similaires à ce que l’on retrouve dans nos champs
cultivés.
Publiée dans
Cell
Reports, cette étude de l'EPFL appelle à davantage de
prudence dans l’usage de cette famille d’antibiotiques. Les
chercheurs, emmenés par Norman Moullan et Laurent Mouchiroud, ont en
effet pu constater que ces molécules exerçaient une action
indésirable sur les mitochondries, les "usines énergétiques" des
cellules.
"Ce n’est pas si étonnant quand on se rappelle que les
mitochondries sont, historiquement, des bactéries qui ont évolué
dans nos cellules", souligne Laurent Mouchiroud. "Beaucoup
d’attention a été portée sur le rôle des antibiotiques sur notre
flore intestinale, qui compte dix fois plus de cellules que tout le
reste de notre corps. Toutefois, les effets des antibiotiques sur le
fonctionnement de nos mitochondries, elles-mêmes encore plus
nombreuses que les bactéries de notre flore intestinale, n’avaient
pas été étudiés dans le détail jusqu’ici".
Croissance animale accélérée, mais développement végétal retardé
Les effets sont spectaculaires. "Après quelques jours de
traitement avec de fortes doses de doxycycline, (une tétracycline
semi-synthétique développée au début des années 1960 et
commercialisée sous le nom Vibramycine, NdlR), la respiration
mitochondriale étaient visiblement altérée", explique Norman
Moullan. Plus étonnant encore : ces conséquences dépassent largement
le premier sujet récepteur de ce médicament mais se prolongent tout
au long de la chaîne du vivant, des mammifères aux mouches et des
vers nématodes aux plantes. "Le développement des vers s’en
voyait entravé. En revanche, ils accusaient moins vite des signes de
vieillissement, comme l’avaient déjà montré nos précédentes
recherches", ajoute Norman Moullan.
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Les chercheurs ont également mené des
tests de croissance sur un végétal bien connu et fréquemment utilisé
en laboratoire, Arabidopsis thaliana. Après 7 jours de croissance
sur un substrat normal, les plantes ont été transférées dans des
terreaux comportant diverses concentrations de doxycycline. "Des
retards de croissance parfois importants ont été constatés après
quelques jours, y compris dans des sols dont la concentration en
antibiotiques n’est pas plus forte que ce qu’on trouve aujourd'hui
dans certains champs", affirme Norman Moullan.
Du fourrage aux champs, en passant par notre organisme
La cause de cette pollution jusqu'ici ignorée et dont on commence
tout juste à mesurer les conséquences est connue, puisqu'il s'agit
de l'administration régulière de ces antibiotiques au bétail
d'élevage, souvent malgré les interdictions, et exclusivement dans
un but de rendement. "Comme on les leur donne par voie orale,
avec le fourrage, ils ne sont que faiblement assimilés et se
retrouvent dans les fumiers, puis dans les champs", reprend
Laurent Mouchiroud.
Les quantités en causes sont impressionnantes, et les enjeux
économiques énormes. En 2011, 5.600 tonnes de tétracyclines ont été
donnés au bétail américain. Une étude a montré que près de la moitié
des 210.000 tonnes d’antibiotiques produits en Chine en 2007 sont
des tétracyclines à usage vétérinaire... et indirectement humain,
puisqu'ils se retrouvent au final dans notre assiette. "Les
effets sur la croissance d’autres plantes que A. thaliana n’ont pas
encore été étudiés, mais nos travaux doivent inciter à la plus
grande prudence", estime Norman Moullan.
Sources (entre autres) :
>>> L'utilisation d'antibiotiques comme facteurs de
croissance en alimentation animale : rapport.
>>> Tetracyclines Disturb Mitochondrial Function
across Eukaryotic Models: A Call for Caution in Biomedical Research.
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