21 mars 2015

 

Des milliers de tonnes d'antibiotiques dans nos assiettes

 
Même si les campagnes de responsabilisation limitent l'usage inconsidéré des antibiotiques, ceux-ci parviennent tout de même à pénétrer dans notre organisme par la petite porte… et induire les mêmes effets dommageables.

Largement utilisés dans l'élevage non en usage vétérinaire mais comme facteur de croissance, les antibiotiques à base de tétracycline exercent une fonction inattendue sur le développement de nombreux organismes, induisant même une importante pollution des sols.

Même s'ils permettent de sauver des vies, les antibiotiques ne sont jamais inoffensifs. Une nouvelle étude de l'Institut Polytechnique de Lausanne (EPFL - Suisse), en collaboration avec deux autres équipes de recherches, suisse (Bart DePlancke) et néerlandaise (Riekelt Houtkooper), démontre que certains d’entre eux ont des effets inattendus sur le développement des organismes. Les chercheurs ont pu constater des effets sensibles, à des concentrations similaires à ce que l’on retrouve dans nos champs cultivés.

Publiée dans Cell Reports, cette étude de l'EPFL appelle à davantage de prudence dans l’usage de cette famille d’antibiotiques. Les chercheurs, emmenés par Norman Moullan et Laurent Mouchiroud, ont en effet pu constater que ces molécules exerçaient une action indésirable sur les mitochondries, les "usines énergétiques" des cellules.

"Ce n’est pas si étonnant quand on se rappelle que les mitochondries sont, historiquement, des bactéries qui ont évolué dans nos cellules", souligne Laurent Mouchiroud. "Beaucoup d’attention a été portée sur le rôle des antibiotiques sur notre flore intestinale, qui compte dix fois plus de cellules que tout le reste de notre corps. Toutefois, les effets des antibiotiques sur le fonctionnement de nos mitochondries, elles-mêmes encore plus nombreuses que les bactéries de notre flore intestinale, n’avaient pas été étudiés dans le détail jusqu’ici".

Croissance animale accélérée, mais développement végétal retardé

Les effets sont spectaculaires. "Après quelques jours de traitement avec de fortes doses de doxycycline, (une tétracycline semi-synthétique développée au début des années 1960 et commercialisée sous le nom Vibramycine, NdlR), la respiration mitochondriale étaient visiblement altérée", explique Norman Moullan. Plus étonnant encore : ces conséquences dépassent largement le premier sujet récepteur de ce médicament mais se prolongent tout au long de la chaîne du vivant, des mammifères aux mouches et des vers nématodes aux plantes. "Le développement des vers s’en voyait entravé. En revanche, ils accusaient moins vite des signes de vieillissement, comme l’avaient déjà montré nos précédentes recherches", ajoute Norman Moullan.
 
 

 
A gauche, plante ayant poussé sur un substrat normal, à droite avec présence de doxycicline.
 
Les chercheurs ont également mené des tests de croissance sur un végétal bien connu et fréquemment utilisé en laboratoire, Arabidopsis thaliana. Après 7 jours de croissance sur un substrat normal, les plantes ont été transférées dans des terreaux comportant diverses concentrations de doxycycline. "Des retards de croissance parfois importants ont été constatés après quelques jours, y compris dans des sols dont la concentration en antibiotiques n’est pas plus forte que ce qu’on trouve aujourd'hui dans certains champs", affirme Norman Moullan.

Du fourrage aux champs, en passant par notre organisme

La cause de cette pollution jusqu'ici ignorée et dont on commence tout juste à mesurer les conséquences est connue, puisqu'il s'agit de l'administration régulière de ces antibiotiques au bétail d'élevage, souvent malgré les interdictions, et exclusivement dans un but de rendement. "Comme on les leur donne par voie orale, avec le fourrage, ils ne sont que faiblement assimilés et se retrouvent dans les fumiers, puis dans les champs", reprend Laurent Mouchiroud.

Les quantités en causes sont impressionnantes, et les enjeux économiques énormes. En 2011, 5.600 tonnes de tétracyclines ont été donnés au bétail américain. Une étude a montré que près de la moitié des 210.000 tonnes d’antibiotiques produits en Chine en 2007 sont des tétracyclines à usage vétérinaire... et indirectement humain, puisqu'ils se retrouvent au final dans notre assiette. "Les effets sur la croissance d’autres plantes que A. thaliana n’ont pas encore été étudiés, mais nos travaux doivent inciter à la plus grande prudence", estime Norman Moullan.

Sources (entre autres) :

>>>  L'utilisation d'antibiotiques comme facteurs de croissance en alimentation animale : rapport.
>>>  Tetracyclines Disturb Mitochondrial Function across Eukaryotic Models: A Call for Caution in Biomedical Research.
 
 

 

 

 
 
 

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