19 mars 2015

 

Il y a 50 ans, Leonov marchait dans l'Espace !

 
Le 18 mars 1965, pour la première fois de l'Histoire, un homme flottait librement dans l'espace, relié à son vaisseau par un cordon ombilical. Cet homme, c'était le cosmonaute soviétique Alexeï Arkhipovitch Leonov. Retour sur un évènement extraordinaire.

Nous sommes alors en pleine guerre froide et la course à la Lune dans laquelle se sont engagés les deux grandes puissances – USA et URSS – bat son plein, chacun des deux acteurs s'échinant à espionner l'autre par crainte de se laisser dépasser. Les observateurs de l'époque pensent que les Américains ont été largement supplantés par la science soviétique : premier satellite (Spoutnik 1), premier être vivant dans l'espace (Laïka à bord de Spoutnik 2), premier cosmonaute (Gagarine à bord de Vostok 1), entre autres… On apprendra, trente ans plus tard, que bien des "exploits" de l'URSS relevaient plus de la chance que de la science.
 

Le badge de Voskhod 2

Et aussi du bluff. Car alors que les Américains avaient brillamment accompli leur programme Mercury avec l'envoi de 6 capsules monoplaces habitées dans l'espace et se préparaient à débuter l'ambitieux projet Gemini dont la première cabine biplace devait s'envoler en mars 1965, les Soviétiques venaient de clôturer leur programme Vostok dont le dernier vaisseau – monoplace – avait été placé en orbite en juin 1963 avec la seule femme cosmonaute (Valentina Terechkova) à bord. En fait, Mercury, commencé dix mois avant Vostok, s'était achevé quatre semaines avant lui, tous objectifs accomplis.

Lorsque la Nasa annonça qu'une sortie extravéhiculaire serait tentée dès le deuxième vol de la nouvelle cabine Gemini en 1965, l'inquiétude gagna les Soviétiques. En effet, le nouveau vaisseau devant succéder à Vostok, le Soyouz, ne pourrait être prêt avant 1966. Or, il était hors de question de laisser le pays de l'Oncle Sam reprendre le dessus, tant pour le premier vol à équipage multiple que pour la première "sortie" dans l'espace.

Un invraisemblable programme

Fin 1963, Khrouchtchev ordonne à Korolev, principal responsable du programme de vols habités en URSS, de trouver un pendant soviétique au programme Gemini afin de ne pas laisser filer ces deux "premières". Un objectif tout simplement impossible à réaliser… sauf à décider l'impensable : débarrasser une capsule Vostok monoplace de tout ce qui n'est pas absolument vital, et y caser plusieurs cosmonautes de petite taille en se passant de combinaisons spatiales. Ainsi naîtra l'invraisemblable programme Voskhod (Soleil Levant, en russe).
 
 

 
Comparaison à la même échelle des vaisseaux Vostok (monoplace), Voskhod 1 (triplace) et Voskhod 2 (biplace + sas).
 
Voskhod 1 s'envole le 12 octobre 1964 avec trois cosmonautes, le médecin Boris Iegorov, Féoktistov, le concepteur même de Vostok, et Vladimir Komarov, de l'Armée de l'Air. Le monde entier admirera la maîtrise des Russes, qui n'ont évidemment pas manqué de faire savoir que "leurs vaisseaux sont tellement sûrs que la combinaison spatiale n'est plus nécessaire". On changera d'avis plus tard…

Et le 18 mars 1965, il y a aujourd'hui 50 ans, c'est au tour de Voskhod 2 de prendre la route de l'espace. A bord, deux occupants : Alexeï Leonov bien sûr, et Pavel Beliaïev, commandant de bord. Ceux-ci sont toutefois revêtus de scaphandres, mission oblige. Les instruments de Vostok et de son avatar Voskhod n'étant pas prévus pour affronter le vide, un ingénieux sas gonflable a été ajouté à l'extérieur de la cabine afin de limiter les pertes d'air.

Alors que Voskhod 2 vient tout juste d'accomplir sa première orbite, Léonov pénètre dans le sas et referme l'écoutille derrière lui. Après dépressurisation, il ouvre la porte extérieure et s'élance dans le vide, relié par un cordon ombilical. Sa première tâche sera de retirer le couvercle de l'objectif d'une caméra qui filmera toute la sortie. Et ce détail est important, car pour la première fois, les images seront retransmises vers le territoire soviétique, où les chaînes de télévision retransmettront l'exploit en direct, une "première" qui ne sera plus répétée avant longtemps. Leonov saisit ensuite l'appareil photographique qu'il a emporté avec lui, mais il ne pourra malheureusement pas s'en servir, les épais gants de sa combinaison l'empêchant d'actionner le déclencheur.

Des millions de téléspectateurs ont ainsi pu voir cet homme en scaphandre émerger lentement d'un sas ressemblant à un kiosque de sous-marin, portant une bouteille d'oxygène sur le dos et relié par un filin à l'intérieur du vaisseau. Accroché d'une main à une sorte de rampe, il attend les ordres du Commandant, et ceux venus de la Terre, pour commencer sa mission.

Leonov lâche alors la rambarde et fait des gestes de la main, comme s'il comptait. Il déclarera plus tard qu'on lui avait demandé de mimer la manipulation d'outils, afin de tester la liberté de ses mouvements. Il saisit ensuite cette sorte de rampe des deux mains, tandis que l'arrière de son corps semble s'élever d'elle-même. Il traverse ensuite le champ de vision, couché sur le dos, comme un nageur en train de faire la planche. Le commentateur de la télévision annonce à ce moment que sa vitesse est de 8 kilomètres/seconde par rapport au sol.

Le tuyau qui le relie au sas paraît se gonfler dans le dos du cosmonaute. A trois reprises, il sort du champ de vision pour reparaître à droite du sas du vaisseau, qui se trouve en avant-plan. On le voit successivement en position horizontale, puis les pieds vers le haut de l'écran, faisant plusieurs tours sur lui-même. Avec les mains, il semble vouloir allonger le tuyau gonflé derrière lui.
 
 

 
Leonov au début de sa sortie, capturé par une caméra du vaisseau.
 
Quand tout faillit tourner mal

Après cinq minutes, l'ordre lui est donné de réintégrer la cabine. Mais Leonov se rend alors compte que sa combinaison s'est bien plus dilatée que prévu sous l'effet de la pression interne et qu'il lui est impossible de franchir le sas. Cette combinaison était en fait un modèle rudimentaire créé pour l'occasion, les scaphandres prévus pour le programme Soyouz n'étant pas prêts, et n'avait jamais été testée dans le vide ! A ce moment, la retransmission télévisée en direct est interrompue et, sans explication, est remplacée par un concert de Mozart…

Là-haut, Leonov se débat. Il s'extirpe du sas dans lequel seules ses jambes étaient engagées. Le protocole de mission prévoyait en effet que le cosmonaute devait réintégrer le vaisseau jambes en avant, afin d'arriver directement dans la bonne position sur sa couchette, l'exiguïté de Voskhod ne permettant pas de s'y retourner. Sans en demander l'autorisation au centre de contrôle qui la lui aurait certainement refusée, Leonov ouvre une valve et dépressurise sa combinaison à 0,23 atmosphères, au seuil de la parte de connaissance. A demi conscient, il s'engage enfin dans le sas qu'il franchi non sans efforts, et réussit à se retourner pour se retrouver, épuisé, dans la bonne position.

Bien que la "sortie" proprement dite ait duré exactement 12 minutes et 9 secondes, Leonov est resté exposé 17 minutes au vide spatial, au lieu des 5 prévues, l'écoutille étant restée ouverte 23 minutes. Tandis que son pouls grimpait à 143 battements par minute et que sa température atteignait 38°C, le cosmonaute transpirait abondamment. Au sol, les techniciens récupéreront 6 litres d'eau dans les bottes de sa combinaison.

La suite du vol connaîtra d'autres incidents, qui auraient pu tous entraîner une fin tragique. Mal refermée, la porte du sas provoquera une chute brutale de la pression dans la cabine, rapidement compensée par de l'oxygène pur, risquant d'entraîner une explosion à la moindre étincelle. Puis au moment du retour, la rétrofusée ne s'allume pas, et les techniciens envoient des instructions pour une rentrée en mode manuel. Mais celle-ci est approximative et s'effectue avec un angle exagéré, soumettant les cosmonautes à une force atteignant 12G avant d'atterrir brutalement dans l'Oural, à 400 kilomètres du point prévu… en brisant la radio. Entourés de loups mais devant malgré tout sortir de leur minuscule habitacle (pour tous les vols suivants, les vaisseaux emporteront des armes), les deux hommes ne seront retrouvés que 24 heures plus tard. Mais il faudra encore 24 heures de patience avant qu'un hélicoptère ne puisse les hélitreuiller. Pendant tout ce temps, l'agence Tass annonçait que Leonov et Beliaïev avaient été récupérés en parfaite santé et se trouvaient en vacances en Crimée…

Jean Etienne

 

 
Voskhod 2 au musée Energia de Kaliningrad, auquel a été ajouté une réplique du sas gonflable.
 
 
 

 
Leonov tel qu'il apparaissait en direct lors du reportage télévisé.
 

 

 
 
 

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