11 mars 2015

 

On peut enfin lire des rouleaux de papyrus extrêmement fragiles sans les dérouler

 
Des rouleaux de papyrus, carbonisés lors de l'éruption du Vésuve en 79 avant Jésus-Christ, vont-ils livrer leurs secrets? Une technique d'imagerie non destructrice, mise au point par une équipe franco-italienne dirigée par Vito Mocella de l'Institut pour la Microélectronique et les Microsystèmes du Conseil national de recherches de Naples (Imm-Cnr) et comptant des chercheurs du CNRS français et du Synchrotron européen de Grenoble (ESRF), permet de l'espérer.

En 79 avant notre ère, une éruption cataclysmique du Vésuve engloutissait Pompéi, tandis qu'Herculanum, une ville voisine, était frappée par une nuée ardente dont le souffle chaud carbonisait tous les matériaux fragiles comme le bois, le cuir, et surtout les rouleaux de papyrus. Commandées par Charles de Bourbon en 1750, des fouilles archéologiques sur le site permettaient de découvrir une véritable bibliothèque dans la "Villa des Papyrus", appartenant à Lucius Calpurnio Piso, consul et beau-frère de Jules César, et siège d'une importante école épicurienne sous la direction de Philodème de Gadara. Celle-ci était composée d'environ 1800 rouleaux soigneusement rangés sur des étagères. "Un tel patrimoine est inestimable parce qu'il s'agit de la seule bibliothèque de l'antiquité parvenue à nos jours dans son intégralité. Le contenu est composé de textes pour la majorité inconnus car ils n'ont pu être transmis par la tradition de recopie médiévale", explique Vito Mocella.

 
 

 
Plan de la villa des Papyrus, dressé au XVIIIe siècle par Charles Weber.
 
"Au départ, les archéologues ont tenté de les ouvrir mécaniquement, en les déployant très doucement à raison d'un centimètre par jour. Mais cela a occasionné des dégâts majeurs", annonce Vito Mocella. Cela a toutefois permis de découvrir des textes épicuriens. "Puis dans les années 1970, 1980, a été développée la technique dite d'Oslo, qui utilisait un produit gélatineux pour essayer de décoller les différentes couches", poursuit ce scientifique basé à l'institut pour la microélectronique de Naples (Italie). La méthode a été testée à Paris sur deux rouleaux conservés par l'Institut de France mais "cela n'a pas bien marché. Un rouleau a explosé en 1.800 fragments", explique-t-il. Cette méthode a donc été abandonnée.

D'autres tentatives de lecture indirectes sans déroulement ont aussi été envisagées, comme la radiographie, mais il faut aussi considérer qu'à l'époque de la rédaction de ces papyrus, on avait coutume d'écrire au moyen de charbons obtenus à partir de résidus de fumée, dont la densité est similaire à celle du papyrus carbonisé, ce qui rend impossible toute imagerie faisant appel aux rayons X.

Vito Mocella, et plusieurs chercheurs français dont Daniel Delattre du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) ont mis au point une nouvelle méthode, publiée ce mardi 10 mars dans la revue britannique Nature Communications. Celle-ci fait appel à la technique de tomographie par contraste de phase en utilisant le rayonnement synchrotron, et permet de détecter et d'amplifier la différence entre le papyrus et l'encre, laquelle ne pénètre pas totalement dans les fibres végétales du support, mais y forme une très mince épaisseur en surface, de l'ordre de cent microns.

Un premier essai a été effectué sur le synchrotron européen de Grenoble (France), au cours duquel les chercheurs ont examiné un fragment et un rouleau de papyrus conservés à l'Institut de France. Ils sont ainsi parvenus à déchiffrer des mots sur le fragment ainsi que plusieurs lettres à l'intérieur du rouleau sans l'endommager. "Notre but était de montrer que la technique a marché pour lire à l'intérieur des papyrus sans y toucher. A présent, nous devons peaufiner la technique et les algorithmes", a souligné Vito Mocella. Les résultats obtenus ont également permis une analyse de l'écriture, qui permet de formuler une hypothèse sur l'identité de l'auteur des écrits.

 
 

 
Rouleau de papyrus ayant fait l'objet de la première expérience d'analyse. Son état exprime parfaitement la difficulté de l'entreprise.
 
Le développement de cette technique permettra d'analyser les centaines de rouleaux encore fermés et stockés à l'Atelier des Papyri de la Bibliothèque nationale de Naples. L'identification de certains mots et la reconstitution de tout l'alphabet grec a permis d'avancer des hypothèses sur la période des écrits analysés et sur l'auteur : il s'agirait très probablement d'une œuvre de Philodème, philosophe épicurien du premier siècle avant JC, pour l'école qu'il a fondée.

Vito Mocella souligne que cette première expérience a été effectuée sans aucun financement. "Quasiment, ça a été un travail 'après journée' pour faire l'analyse dure et complexe des données", déclare le chercheur, qui espère que cette activité pourra désormais être financée au vu de ses résultats, afin de pouvoir disposer de personnes à plein temps et de faire appel à d'autres collaborateurs en vue de mettre au point de nouveaux algorithmes spécialement destinés à cet usage bien spécifique.

Si les moyens sont réunis, "une décennie devrait être suffisante pour faire la lecture des rouleaux", assure M. Mocella. Il en reste encore 700 à 800 entiers, non déroulés, plus d'autres en partie ouverts.

 
 
 
Exemple de déchiffrement de papyrus par tomographie par contraste de phase.
 
D'autres trésors restent à découvrir

D'autres chercheurs sont encore plus préoccupés par l'idée qu'il peut y avoir de nombreux autres papyrus dans la villa, attendant d'être découverts. Ainsi Richard Janko, professeur d'études classiques à l'Université du Michigan, se déclare certain de leur existence : la villa appartenait il y a deux millénaires à des aristocrates romains de langue latine, Lucius Calpurnius Piso et son fils du même nom. Il y aurait donc logiquement eu, dans cette villa, une bibliothèque latine côtoyant la bibliothèque essentiellement grecque déjà découverte.

Ensuite, affirme Richard Janko, la villa était, non seulement une maison de loisirs ou de résidence, mais un "mouseion", c'est-à-dire un musée destiné à montrer une collection d'œuvres d'art importantes et de littérature. Si le contenu littéraire de ce musée était de la même importance que les nombreuses sculptures qui y ont été découvertes, on pourrait s'attendre à y trouver bien autre chose que la collection des œuvres d'un philosophe considéré comme mineur tel que Philodème. Nous pourrions même espérer y découvrir une des premières éditions de l'Enéide de Virgile, que Philodème connaissait, affirme Richard Janko.

Ensuite encore, les parchemins ont été découverts dans différents endroits de la villa. Bien que certains se trouvaient sur des étagères et dans des armoires, d'autres ont été entassés sur le sol et emballés dans des boîtes tubulaires (des capsae), comme pour être transportés ailleurs. Se pourraient-il que d'autres soient entreposés dans une autre partie du bâtiment, encore inconnue ?

Robert Fowler, professeur de lettres classiques à l'Université de Bristol, souligne que près de la salle où la plupart des parchemins ont été trouvés, et sur le même niveau, existe une section de la villa qui n'a jamais été déterrée. Selon Fowler, la villa dispose de trois niveaux, dont seul le plus élevé a été sensiblement exploré jusqu'ici, mais dans les années 1990, deux autres couches ont été partiellement révélées. Dans l'étage du milieu, les archéologues ont découvert une suite de chambres bien aménagées avec vue sur la mer, dont certaines ont été ouvertes tandis que d'autres restent fermées. S'agirait-il de l'endroit où les propriétaires de la villa ont conservé les objets les plus précieux ? En tout cas, Fowler estime que le bâtiment pourrait encore abriter une véritable "manne" littéraire.

En attendant, les autorités italiennes sont réticentes à autoriser de nouvelles fouilles, en faisant valoir que ce serait perturbateur pour les résidents de la ville moderne d'Ercolano, construite littéralement au-dessus d'Herculanum. Mais gageons qu'un jour, sous l'impulsion de cette découverte, les interdictions seront levées et que de nouveaux trésors viendront s'ajouter à ceux que les scientifiques sont sur le point de déchiffrer.

Jean Etienne

Sources :

Non aprite quei papiri! (Li leggiamo ugualmente) (Consiglio Nazionale delle Ricerche)
Revealing letters in rolled Herculaneum papyri by X-ray phase-contrast imaging (Nature)

 

 
 
Vue d'ensemble du site actuel d'Herculanum.
 

 

 
 
 

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