Une nouvelle étude conduite par des
scientifiques de l'EPFL et de l'Université d'Edimbourg réfute
l'hypothèse selon laquelle la matière noire serait composée de
particules.
Alors même qu'elle représente 90% de toute la matière contenue dans
l'Univers, nous savons très peu de choses de la matière noire. Une
hypothèse prédominante parmi les astronomes voulait que la matière
noire soit constituée d'une particule subatomique nouvelle, que nous
n'avons pas encore découverte. Des théories plus exotiques décrivent
la matière noire soit comme une anomalie quantique remontant à la
naissance de l'Univers, ou une masse extra-dimensionnelle, voire une
forme de gravité modifiée. Différentes théories s'affrontent ainsi
depuis des décennies pour en fournir une explication, mais jusqu'ici
aucune d'entre elles n'a prévalu.
Dans une étude menée en collaboration par l'École Polytechnique
Fédérale de Lausanne (EPFL - Suisse) et l'Université d'Edimbourg
(Ecosse), des scientifiques ont étudié le comportement de la matière
noire lors des collisions d'amas de galaxies, évènements pouvant
durer plusieurs milliards d'années mais dont nous pouvons observer
les différentes phases dans de nombreux exemples. Publiées dans
Science, leurs découvertes remettent en question au moins une des
principales théories sur la matière noire.
Matière noire et amas de galaxies
Ce qui est déjà connu, c'est que la matière noire interagit
fortement avec les structures cosmiques au moyen de sa force
gravitationnelle, en les façonnant et en les travaillant. Notamment,
elle infléchit la lumière qui la traverse ou passe à proximité,
déformant l'image d'objets spatiaux lointains. De plus, elle
accélère le mouvement des galaxies à l'intérieur des amas
galactiques, qui sont des ensembles de centaines ou de milliers de
galaxies, contenant des quantités littéralement astronomiques
d'étoiles, de planètes et de gaz. Les amas de galaxies sont
eux-mêmes constitués de 90% de matière noire, ce qui en fait des
objets idéaux pour étudier celle-ci, particulièrement lorsqu'elles
entrent en collision et forcent leur matière noire respective à
interagir.
Explorer l'obscur
David Harvey, post-doctorant et chercheur au Laboratoire
d'astrophysique de l'EPFL, étudie les collisions d'amas galactiques,
à la recherche d'indices sur la nature de la matière noire.
Poursuivant son travail de thèse à l'Observatoire royal d'Edimbourg,
lui et ses collègues ont étudié les données de 72 collisions d'amas
de galaxies, des télescopages cataclysmiques pouvant durer des
milliards d'années. Lorsque ces événements se produisent, la matière
noire de chaque amas interagit avec celle de l'autre, offrant ainsi
une opportunité unique d'étudier le phénomène.
Plus particulièrement, les chercheurs ont analysé les données des
collisions fournies par le Chandra X-ray Space Observatory et le
télescope Hubble afin de déterminer le changement de quantité de
mouvement de la matière noire lorsque deux amas de galaxies
s'interpénètrent. Des expériences menées sur Terre, par exemple au
CERN dans le Grand collisionneur de hadrons (Large Hadron Collider),
nous montrent en effet que quand des particules interagissent, elles
échangent de la quantité de mouvement. Comprendre comment la matière
noire interagit après une telle collision permet de tirer des
conclusions sur sa nature.
Pour mettre à l'épreuve la théorie selon laquelle la matière noire
est constituée de particules, l'étude s'appuie sur deux scénarios
possibles: ou bien les particules de la matière noire interagissent
fréquemment mais échangent peu de quantité de mouvement, ou bien
elles interagissent rarement mais échangent beaucoup de quantité de
mouvement. Dans le premier cas, la matière noire devrait ralentir
après la collision, parce que les interactions fréquentes entre
particules devraient provoquer un effet de freinage additionnel.
Dans le second scénario, la matière noire devrait tendre à
s'échapper et à se perdre dans l'espace.
Aucune interaction !
De manière surprenante, l'étude a révélé que dans les collisions
d'amas galactiques, les masses de matière noire passent simplement
l'une à travers l'autre. Cela implique que les particules de matière
noire n'interagissaient pas entre elles, car alors un ralentissement
de ces masses en mouvement devrait se produire. Autrement dit, si la
matière noire interagit nettement sur la matière visible, elle
n'interagit pas avec elle-même !
Plus important, l'étude contredit l'hypothèse considérée jusqu'ici
comme la plus plausible, selon laquelle la matière noire serait
constituée de particules de type proton, ou même n'importe quel type
de particule.
"Nous avons constaté que, tout comme les galaxies, la matière noire
a continué tout droit à travers les violentes collisions sans
beaucoup ralentir. Cela signifie que la matière noire n’interagit
pas avec des particules visibles et vole dans d’autres
concentrations de matière noire avec beaucoup moins d’interaction
qu’on ne le pensait. Si la matière noire rencontrait une résistance
contre d’autres matières noires, la distribution des galaxies aurait
changé. Si elle était simplement constituée de 'protons sombres' ou
d'autres particules, nous pourrions nous attendre à les voir
rebondir l'un sur l'autre ", ajoute en substance David Harvey.
La matière noire appartient-elle seulement à notre Univers ?
Ce travail résulte d'une collaboration entre le Laboratoire
d'astrophysique de l'EPFL, le Royal Observatory de l'Université
d'Edimbourg, l'Institute for Computational Cosmology at Durham
University, et le Mullard Space Science Laboratory à l'University
College London.
Jean Etienne
Source :
The non-gravitational interactions of dark matter in colliding
galaxy clusters, Science, 27 mars 2015.
The
non-gravitational interactions of dark matter in colliding galaxy
clusters, Cornell University Library.
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publication originale en pdf (eng).
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