Depuis longtemps, les
scientifiques sont intrigués par la surface de Mercure, beaucoup
trop sombre au vu des modèles proposés. Une nouvelle recherche
suggère que le carbone laissé lors du passage de comètes pourrait
être l'agent assombrissant de la planète.
Dans un article publié le 30 mars dans Nature Geoscience, une équipe
de scientifiques de l'Université Brown, située à Providence dans
l'Etat de Rhode Island, a émis une nouvelle explication de la
surface sombre, à peine réfléchissante, de la planète Mercure. Ils
suggèrent qu'un "dépoussiérage" régulier de carbone de millions de
comètes passant à proximité du Soleil a lentement peint Mercure en
noir, et ce durant des milliards d'années.
La surface sombre de la planète est restée longtemps un mystère pour
les astrophysiciens. Les planètes sans atmosphère sont connues pour
être assombries par les multiples impacts de micrométéorites ainsi
que par le bombardement de vent solaire, processus qui créent une
mince couche de microparticules de fer sur la surface. C'est
d'ailleurs le cas de la Lune, notre plus proche voisine. Mais les
données spectrales de Mercure indiquent que sa surface comporte très
peu de fer, et certainement pas assez pour justifier son aspect
sombre.
"On a longtemps suggéré qu'un mystérieux agent assombrissant
contribue à une très faible réflectance de la surface", a
déclaré Megan Bruck Syal, chercheur postdoctorant au Lawrence
Livermore National Laboratory qui a effectué cette recherche
alors qu'il était étudiant diplômé à l'Université Brown. "Une
chose qui ne avait pas été envisagée était que Mercure aurait été
recouverte par beaucoup de matériel livré par les comètes".
Lorsque les comètes se rapprochent très près du Soleil, leur noyau
commence souvent à se briser. Or celui-ci, tout comme la poussière
cométaire, est composé de près de 25% de carbone, de sorte que
Mercure, planète la plus proche du Soleil, est exposée à un
bombardement continu de carbone provenant de ces astres agonisants.
Bruck Syal a construit un modèle mathématique de ce processus, afin
de déterminer à quelle fréquence et dans quelles proportions le
matériel cométaire aurait atteint la planète ou se serait perdu dans
l'espace. Ses calculs suggèrent qu'après des milliards d'années de
bombardement, la surface de Mercure devrait être composée de 3 à 6%
de carbone. Un canon au
service des chercheurs
Les chercheurs se sont ensuite tournés vers le NASA Ames Vertical
Gun Range, un canon de plus de 4 mètres capable de propulser des
projectiles à plus de 30.000 km/heure afin de simuler les impacts de
météorites. Pour cette étude, l'équipe a lancé des obus contenant du
sucre, un composé organique complexe imitant la matière organique
présente dans les comètes. La chaleur libérée lors de l'impact brûle
le sucre, libérant le carbone. Les projectiles ont été tirés sur un
matériau qui imite le basalte lunaire, la roche qui constitue les
taches sombres sur la face visible de la Lune. "Nous avons
utilisé le modèle de basalte lunaire parce que nous voulions
commencer avec quelque chose de sombre et déjà voir si nous pouvions
l'assombrir encore", a déclaré Peter Schultz, professeur émérite
de sciences géologiques à l'Université Brown et co-auteur de la
nouvelle recherche.
Les expériences ont montré que de petites particules de carbone se
sont profondément incrustées dans le matériau fondu de l'impact. Ce
processus a réduit la quantité de lumière réfléchie par le matériau
cible jusqu'à moins de 5%, soit environ la même proportion observée
dans les parties les plus sombres de Mercure.
Fait important, l'analyse spectroscopique des échantillons d'impact
n'a révélé aucune empreinte spectrale distincte, ce qui correspond à
la signature spectrale de Mercure. "Nous démontrons ainsi que le
carbone agit comme un agent d'assombrissement", a déclaré
Schultz. "Du point de vue de l'analyse spectrale, il se comporte
comme une peinture invisible".
Source :
Comet dust: Planet Mercury’s ‘invisible paint’ (Université
Brown)
Jean Etienne |