Des crânes découverts dans une grotte
en Espagne présentent un mélange de traits néandertaliens et plus
primitifs, suggérant une évolution par étapes des caractères
néandertaliens.
Des chercheurs qui étudiaient un ensemble de crânes retrouvés dans
une grotte en Espagne y ont identifié des traits dérivés des
Néandertaliens et d'autres associés à des humains plus primitifs. Ce
'motif en mosaïque' étaye une théorie de l'évolution de l'homme de
Néandertal qui suggère qu'il a présenté ses caractéristiques
séparément et à différentes époques et non d'un seul coup. Avec ces
nouvelles données issues du site de la Sima de los Huesos, du nom de
la grotte espagnole hébergeant les fossiles, les scientifiques ont
pu mieux comprendre l'évolution des hominidés au cours du
Pléistocène moyen, période au cours de laquelle cette évolution a
été débattue.
"Le Pléistocène moyen a correspondu à une époque d'environ un
demi-million d'années au cours de laquelle l'évolution des hominidés
n'a pas été un processus lent et tranquille de changements où un
seul type d'hominidé a abouti à l'homme de Néandertal classique"
précise l'auteur Juan-Luis Arsuaga, professeur de paléontologie à l'Université
Complutense de Madrid. "Avec les crânes que nous avons
trouvés, ajoute le co-auteur Ignacio Martinez, professeur de
paléontologie de l'Université d'Alcalá, il a été possible de
caractériser pour la première fois la morphologie crânienne d'une
population humaine de l'Europe du Pléistocène moyen".
Il y a environ 400 à 500.000 ans, au cœur du Pléistocène, des
humains archaïques se sont séparés des autres groupes vivant en
Afrique ou en Asie de l'Est pour s'établir finalement en Eurasie où
les caractéristiques qui allaient définir la lignée néandertalienne
sont apparues. Des centaines de milliers d'années plus tard, l'homme
moderne, apparu en Afrique, s'est aussi installé en Eurasie. Il
s'est mélangé avec les Néandertaliens, mais il y a eu une
incompatibilité pour la reproduction. Ceci explique que l'homme
moderne ait finalement remplacé les Néandertaliens.
Le degré de divergence entre l'homme moderne et celui de Néandertal
sur une période aussi courte a surpris les chercheurs. Pourquoi ce
dernier s'est-il différencié aussi vite des autres hominidés ? Quels
types de changements a-t-il subi ? Pour répondre à ces questions,
ils avaient besoin d'une image précise des populations européennes
d'il y a 400.000 ans, au début de la lignée néandertalienne. Cela a
été difficile à obtenir cependant, car les fossiles européens sont
isolés, dispersés et correspondent de plus à des époques
différentes. Les vestiges du site de la Sima de los Huesos sont
toutefois à part.
"Ce qui rend le site de la Sima de los Huesos unique",
précise Arsuaga, "est l'accumulation extraordinaire et sans
précédents de fossiles d'hominidés qui s'y trouve, rien de tel n'a
jamais été découvert pour une espèce d'hominidé disparue, y compris
celle de Néandertal".
"Le site a été fouillé sans discontinuer depuis 1984",
reprend Martinez, "et trente ans plus tard nous avons recueilli
près de 7 000 fossiles humains correspondant à toutes les régions du
squelette d'au moins 28 individus. Cette collection extraordinaire
de fossiles inclut 17 crânes fragmentés, dont beaucoup sont tout à
fait complets".
Ces 17 crânes appartiennent à une seule population d'une espèce
d'hominidé fossile. Certains avaient déjà été étudiés mais sept sont
présentés ici pour la première fois, et six sont les plus complets
jamais trouvés. Avec ces échantillons intacts à leur disposition,
les chercheurs ont fait des progrès dans la caractérisation de leurs
traits distinctifs. Ce travail a aidé à étayer une hypothèse sur
l'évolution néandertalienne, celle du modèle de l'accrétion selon
laquelle les Néandertaliens ont acquis leurs traits caractéristiques
à différents moments et non d'une façon linéaire.
"Pendant des décennies, la nature du processus évolutif qui a
donné naissance aux Néandertaliens a été débattue", explique
Martinez, "et une question importante dans ces discussions était
de savoir si le 'processus de néandertalisation' a impliqué toutes
les parties du crâne dès le début ou si, au contraire, diverses
étapes ont porté sur différentes parties du crâne au cours du temps".
Les échantillons étudiés par les chercheurs montrent des traits
néandertaliens sur la face et les dents mais pas ailleurs. La boîte
crânienne voisine, par exemple, présente encore des traits associés
à des hominidés plus primitifs.
"En nous basant sur la morphologie, nous pensons que les gens de
la Sima faisaient partie du clade de Néandertal", note Arsuaga,
"bien qu'ils ne soient pas forcément les ancêtres directs des
Néandertaliens classiques". Et le chercheur précise qu'ils
appartenaient à une lignée européenne précoce qui a inclus les
Néandertaliens mais plus primitive que les représentants plus
tardifs du Pléistocène.
Point crucial, beaucoup de traits liés à l'homme de Néandertal
relevés par les chercheurs étaient en rapport avec la mastication. "Il
semble que ces modifications étaient liées à un usage intensif des
dents frontales", précise Arsuaga, "les incisives présentent
une grande usure comme si elles avaient été utilisées comme une
'troisième main', ce qui est typique des Néandertaliens".
Le travail d'Arsuaga et ses collègues suggère que la modification de
la face a été la première étape dans l'évolution de l'homme de
Néandertal. Ce 'motif en mosaïque' cadre bien avec ce que prédit le
modèle de l'accrétion.
"Une chose qui m'a surpris au sujet des crânes que nous avons
étudiés", dit aussi Arsuaga, "est combien les différents
individus étaient similaires. Les autres fossiles de la même période
géologique sont différents et ne correspondent pas au pattern de la
Sima. Cela signifie qu'il y avait beaucoup de diversité entre les
populations du Pléistocène moyen".
Effectivement, d'autres Homo sapiens européens du Pléistocène moyen
ne présentent pas l'ensemble de traits issus de l'homme de
Néandertal observé dans ce groupe de fossiles. Il apparaît ainsi que
plus d'une lignée évolutive ont coexisté en Europe au cours du
Pléistocène moyen, celle de la Sima étant plus proche des
Néandertaliens.
Arsuaga et son équipe ont été ravis de mener cette étude. "Trouver
une seule dent est un grand succès pour tout autre site de cette
époque, alors vous pouvez imaginer ce que c'est que de se mettre à
reconstruire 17 crânes, dit-il, c'est comme d'avoir trouvé un trésor".
Source : Skulls with mix of
Neandertal and primitive traits illuminate human evolution (Science).
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