L'expert canadien Mel Goodale montre
que les experts en écholocation utilisent les échos de sons qu'ils
produisent eux-mêmes pour détecter de multiples propriétés d'objets,
et non seulement leur position, en utilisant des zones du cerveau
associées à la vision.
Certaines personnes aveugles utilisent les échos de claquements de
langue ou de doigts pour distinguer des objets au loin, et utilisent
l'écholocation comme un remplacement de la vision. Il ne s'agit pas
d'une découverte récente, puisque cette faculté peu connue a été
décrite par Diderot dans sa Lettre sur les aveugles à l'usage de
ceux qui voient en 1749. Les premières expériences scientifiques sur
le sujet ont débuté en 1944 avec les travaux de Michaels Supa et de
son équipe, qui a confirmé que c'est bien l'écho des sons qu'ils
émettent qui permet à des aveugles de déterminer la distance de
certains obstacles.
Nouvelle recherche, nouveaux résultats
De nouvelles recherches menées par le Dr Mel Goodale, de
l'Université de Western Ontario, au Canada, et ses collègues du
monde entier, montrent que l'écholocation chez les personnes
aveugles est une forme de substitution sensorielle complète, et que
la perception d'objets par écholocation se fait en utilisant des
régions du cerveau habituellement associées à la perception
visuelle. "Nos expériences montrent que l'écholocation est non
seulement un outil permettant aux personnes ayant une déficience
visuelle de naviguer leur environnement, mais qu'elle peut leur
servir de remplacement sensoriel efficace de la vision, leur
permettant de reconnaître la forme, la taille et les propriétés
matérielles des objets", explique Mel Goodale.
Tout comme plusieurs des propriétés d'un objet (taille, poids
estimé, texture et composition) évaluées par des repères visuels
sont encodées dans différentes régions du cerveau, la nouvelle
recherche démontre que la même chose est vraie de l'information
obtenue à travers les indices auditifs fournis par écholocation. En
effet, plusieurs des régions du cerveau qui sont utilisées par les
voyants pour l'évaluation visuelle des objets sont recrutées dans le
cerveau des non-voyants lorsque les objets sont explorés en
utilisant l'écholocation.
Mais pas que…
Pour comprendre la nature complète d'un objet, et savoir comment
interagir avec cet objet, il est aussi important de connaitre de
quoi il est fait, sa "substance", autrement dit sa composition, que
de connaître sa structure ou sa forme. Alors que ses premières
recherches sur l'écholocation avaient étudié comment les experts en
écholocation détectaient la forme et la distance des objets, les
études les plus récentes du Dr Goodale se sont concentrées sur la
perception de la matière dont les objets sont faits.
"Remarquablement, les experts aveugles en écholocation peuvent
détecter si un objet est dur ou mou, dense ou non, simplement en
écoutant les échos réfléchis par ce matériau", note le Dr
Goodale.
Alors que les individus voyants utilisent des repères visuels pour
obtenir des informations sur la composition des objets, tels que
l'éclat de métal, ou le flou de la fourrure, les experts en
écholocation doivent compter sur les signaux auditifs qui résultent
des échos des clics qu'ils émettent. Pour déterminer comment leur
cerveau traite ces signaux, les chercheurs ont enregistré les échos
produits par les clics des experts en écholocation sur différents
matériaux (une couverture, du faux feuillage et un tableau blanc) et
ont regardé la réponse à ces sons dans le cerveau de personnes
voyantes, ainsi que d'aveugles dont certains pratiquaient
l'écholocation, d'autres non. Pour déterminer les régions du cerveau
qui étaient activées chez ces individus, une technique d'imagerie
cérébrale par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) a été
utilisée.Le centre de la
vision réagit aux sons
Ces études montrent que les signaux associés aux propriétés
matérielles activent une région du cerveau appelée le cortex
parahippocampique chez les experts en écholocation, mais pas chez
les autres. Or, l'activation du cortex parahippocampique est
associée à la perception des scènes chez les personnes voyantes.
Fait intéressant, d'autres études du laboratoire Goodale ont montré
que les experts en écholocation pouvaient être sujets aux illusions,
comme par exemple l'illusion taille-poids dans laquelle la
perception de la masse est influencée par la taille d'un objet. Si
deux objets de poids égal sont présentés à une personne voyante et à
un expert en écholocation aveugle, les deux vont trouver le plus
petit objet plus lourd quand ils le soulèvent à l'aide d'une corde
attachée à une poulie. Le fait que cette illusion soit présente chez
les experts en écholocation, autant que chez les voyants, montre que
l'écholocation est une forme efficace et totale de substitution
sensorielle pour la vision.
Parce que l'écholocation permet aux personnes aveugles de percevoir
les objets à distance, elle peut être utilisée comme substitut à la
vision, permettant une perception d'objets éloignés qui serait
impossible à réaliser par le toucher. En fait, certains experts en
écholocation sont suffisamment compétents pour utiliser cette
capacité pour effectuer des tâches complexes comme la conduite d'un
vélo - ou même compter les points marqués lors d'un match de
basketball !
Les plus récents résultats du Dr Goodale ont été présentés lors du
9ème
congrès annuel de l'Association canadienne des neurosciences, le
24 mai 2015, à Vancouver en Colombie-Britannique.
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