Le développement d’une tumeur exerce une
pression permanente anormale non négligeable sur les cellules saines
avoisinantes. L’équipe CNRS/UPMC/Institut Curie dirigée par Emmanuel
Farge, directeur de recherche Inserm à l’Institut Curie, vient de
découvrir que cette force pouvait y induire l’expression de gènes
tumoraux. La contrainte physique provoquée par la croissance
tumorale provoquerait même les premières phases d’une transformation
tumorale des tissus avoisinants. Cette découverte majeure est
publiée dans Nature du 11 mai 2015.
Lorsqu’une tumeur prolifère, elle induit progressivement une
pression anormale et permanente sur les cellules saines
avoisinantes. Cette contrainte peut-elle transformer les cellules
saines comprimées en cellules tumorales et avoir un effet sur le
développement de la tumeur ? C’est l’approche originale qu’étudie
l’équipe Mécanique et génétique du développement embryonnaire et
tumoral [*] dirigée par Emmanuel
Farge, directeur de recherche Inserm.
Dans un premier temps, les chercheurs ont évalué, dans des modèles
expérimentaux, la pression exercée par la croissance d’une tumeur du
côlon sur les tissus voisins. Au passage, ils démontrent que cette
contrainte mécanique active la voie de signalisation béta-caténine
dans les tissus sains voisins de la tumeur, et entraîne l’activation
de gènes tumoraux. "La béta-caténine est bien connue pour activer
le processus tumoral dans de nombreux cancers", note Emmanuel
Farge.
La mécanique du cancer : des ruses pour se propager
Grâce à des aimants, l’équipe a ensuite mimé dans des tissus sains
chargés de vésicules magnétiques les forces mécaniques induites par
une tumeur sur les tissus alentours et en a observé les
conséquences. "Après deux semaines d’une telle contrainte
mécanique, on observe une augmentation de la phosphorylation (i.e.
l’activation) de la béta-caténine ainsi que sa relocalisation dans
le noyau des cellules", observent les scientifiques. Sous
l’effet de la pression, la protéine béta-caténine se détache de la
membrane cellulaire pour aller dans le noyau où elle active alors
des oncogènes qui favorisent la croissance tumorale.
Au bout d’un mois, une surexpression du gène tumoral c-Myc, cible de
la béta-caténine, est alors détectée, provoquant la division
anarchique des cellules saines, mais aussi celle du gène cible
Zeb-1, responsable de la perte d’adhésion cellulaire à l’origine de
l’invasivité et de la métastase.
Après 2-3 mois, il se forme des foyers d’anomalies au niveau des
cryptes du colon (accroissement de la taille des cryptes et
altération de leur structure) qui correspondent aux premières étapes
de la transformation tumorale. "L’activation par une contrainte
mécanique de la voie de signalisation de la béta-caténine dans les
tissus sains entourant la tumeur présage d’un nouveau mode de
propagation tumorale, indique Emmanuel Farge. Elle crée une boucle
d’autorégulation amplificatrice, une réaction en chaîne, un
véritable « effet domino » : les modifications tumorales
mécaniquement induites par la tumeur sur les cellules génétiquement
saines voisines vont provoquer une croissance anormale de ces
cellules, qui elle-même va appliquer des contraintes anormales sur
ses cellules non encore tumorales avoisinantes, et ainsi de suite,
selon un processus susceptible d’amplifier considérablement la
croissance et la propagation tumorale".
En outre, elle pourrait contribuer à l’hétérogénéité tumorale : les
processus tumoraux enclenchés dans les cellules avoisinantes
pourraient engendrer des cellules tumorales aux caractéristiques
distinctes du cœur de la tumeur et ne répondant pas de la même
manière au traitement. Ce mode de prolifération constituerait alors
un facteur de résistance aux traitements thérapeutiques.
Tout n’est donc pas purement biochimique dans le développement du
cancer du côlon. Les contraintes mécaniques anormales, activatrices
de biomolécules tumorales, apparaissent comme un nouveau rouage
possible de la progression et de l’invasion tumorale.
Ces données devraient être intégrées dans les approches
thérapeutiques car l’élimination complète des tumeurs devra passer
par une action sur l’ensemble des mécanismes mis en œuvre par la
tumeur pour croître.
[*] Unité « Physico-chimie Curie
» UMR 168 CNRS/UPMC/Institut Curie
Source :
Mechanical induction of the tumorigenic β-catenin pathway by tumour
growth pressure (Nature - 11 mai 2015).
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