L'Homme est capable de combiner des
sons pour générer un nombre illimité de messages. Cette capacité,
dont l'origine conserve encore tout son mystère, lui a permis de
développer un système de communication qui n'aura de cesse, au cours
des millénaires, d'évoluer et de lui permettre de prendre la
suprématie sur tout le règne animal.
Aujourd'hui, les éthologistes du laboratoire
EthoS
en collaboration avec des chercheurs de l’université de St Andrews
(Ecosse) et de l’université d’Abidjan (Côte d’Ivoire), ont non
seulement vérifié l’hypothèse de l'évolution du langage, mais aussi
mis en évidence l'existence de précurseurs parmi d’autres espèces de
primates. Ils ont ainsi montré que des singes cercopithèques
ajoutent un suffixe à leur cri d’alarme pour modifier le message
encodé.
Le langage humain et la communication vocale des primates
non-humains sont invariablement présentés comme deux procédés
diamétralement opposés. En effet, si l’Homme est capable d’apprendre
des autres, d’imiter et de créer une infinité d’énoncés différents,
les répertoires vocaux des primates non-humains sont très limités
avec des cris acoustiquement peu flexibles et déterminés
génétiquement. Mais devant l'extrême complexité du langage humain,
les scientifiques estiment qu'il est le fruit d'une évolution
amorcée dans la nuit des temps, et que des précurseurs des capacités
cognitives et des mécanismes communicatifs humains pourraient
exister, à notre époque, chez d'autres espèces de primates.
Notamment, une hypothèse propose que certains primates non humains
sont capables de combiner plusieurs cris pour construire un message,
surmontant ainsi leur impossibilité de moduler suffisamment les sons
qu'ils produisent. Un phénomène similaire existe dans le langage
humain, qui consiste à accoler un suffixe à certains mots pour en
modifier le sens.Une
ébauche de grammaire
En observant des mones de Campbell, ou Cercopithèques de Campbell ,
une espèce de primate vivant dans les forêts primaires de l'Afrique
de l'Ouest, les chercheurs avaient déjà répertorié un ensemble de
six cris d'alarme, parmi lesquels 'krak' et 'krak-oo'. Lorsqu'ils
aperçoivent un léopard, c'est-à-dire un de leurs principaux
prédateurs, les mâles poussent le cri 'krak' afin d'alerter le
harem. Cependant, en présence d'un danger moindre, ils y ajoutent le
suffixe 'oo', formant ainsi le cri 'krak-oo'. Un système analogue à
la suffixation est donc présent chez ces animaux.
Une nouvelle étude, réalisée par les mêmes chercheurs, vient de
franchir une nouvelle étape dans la compréhension de ce phénomène en
testant expérimentalement la validité de ce système combinatoire.
Pour cela, ils ont utilisé des enregistreurs et des haut-parleurs
afin de diffuser des cris 'krak' et 'krak-oo' naturels, ainsi que
les mêmes cris synthétisés (soit en ajoutant ou supprimant le
suffixe 'oo'). L'expétence a été menée à proximité d'un groupe de 42
groupes de singes Diane sauvages, une espèce différente vivant
souvent en association avec les mones de Campbell.
Les résultats montrent que les sujets ont réagi plus fortement aux
cris non suffixés (Krak) qu’aux cris suffixés (Krak-oo), en accord
avec l’importance du danger encodé. Mais surtout, cette étude a
révélé que les singes ont réagi de manière comparable aux cris
naturels et aux cris artificiels, confirmant l’hypothèse d’une
capacité combinatoire.
Ces résultats sont particulièrement intéressants car ils démontrent
expérimentalement, pour la première fois chez l’animal, l’existence
d’un système combinatoire modifiant le message transmis de manière
pertinente pour les receveurs. Ce système permettrait donc
effectivement aux singes de diversifier les messages transmis aux
autres individus en dépit de capacités d'articulation limitées. La
capacité à combiner des sons aurait ainsi été une étape clé dans
l’émergence du langage.
Publication source :
Suffixation influences receivers' behaviour in non-human primates
(Proceedings of the Royal Society of London). Coye C, Ouattara
K, Zuberbühler K, Lemasson A. 22/05/2015.
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