11 juin 2015

 

L'observation d'un anneau d'Einstein par ALMA révèle d'incroyables détails

 
Une campagne d'observations effectuée par le réseau ALMA en configuration étendue a permis d'obtenir une image spectaculaire et détaillée à la fois d'une galaxie lointaine subissant un effet de lentille gravitationnelle.

Sur cette image figure une vue magnifiée des régions de formation d'étoiles au sein de la galaxie distante. Le degré de résolution qui caractérise ces nouvelles observations est inédit. Il surpasse nettement le niveau de détail qu'offre le Télescope Spatial Hubble, et révèle l'existence, au sein même de cette galaxie, de régions de formation d'étoiles semblables à la Nébuleuse d'Orion, quoique de dimensions nettement supérieures. Ce travail est le fruit d'une collaboration internationale impliquant en France des chercheurs des laboratoires du CNRS et des Universités françaises et de l'Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM).
 
 

 
A gauche figure la lentille gravitationnelle d'avant-plan (ici observée au moyen de Hubble). SDP.81, la galaxie subissant l'effet de magnification gravitationnelle, est peu visible. Au centre figure l'image détaillée de l'anneau d'Einstein acquise par ALMA (la galaxie lentille d'avant-plan est invisible pour ALMA). L'image résultante de la galaxie distante (à droite), recomposée grâce à des modèles complexes tenant compte de l'effet de magnification gravitationnelle, révèle l'existence, au sein de l'anneau, de structures fines jamais observées auparavant : des nuages de poussières, très certainement de gigantesques nuages moléculaires froids, véritables lieux de naissance des étoiles et planètes au sein de la galaxie distante. Crédit : ALMA (NRAO/ESO/NAOJ) / Y. Tamura (University of Tokyo) / Mark Swinbank (Durham University).
 
La campagne d'observations d'ALMA en configuration étendue a donné lieu à quelques résultats surprenants, et permis de recueillir des informations d'une précision inégalée concernant les 'habitants' de l'Univers proche et distant. Des observations effectuées fin 2014 dans le cadre de cette campagne visaient une lointaine galaxie notée HATLAS J090311.6+003906, par ailleurs connue sous l'appellation SDP.81. La lumière en provenance de cette galaxie subit les effets d'un phénomène de lentille gravitationnelle. Une galaxie massive située entre SDP.81 et ALMA agit telle une lentille en effet, déformant la lumière émise par la galaxie plus lointaine et générant un anneau d'Einstein quasi-parfait.

La galaxie magnifiée par effet de lentille gravitationnelle est observée à une époque à laquelle l'Univers n'était âgé que de 2,4 milliards d'années – ce qui représente 15% de son âge actuel. Sa lumière a donc mis 11,4 milliards d'années pour nous parvenir, ce qui représente plus de deux fois l'âge de la Terre. Pour ce faire, elle a emprunté un chemin détourné, contournant une galaxie massive d'avant-plan relativement proche en comparaison puisque située à 4 milliards d'années de la Terre.

ALMA fonctionne à la manière d'un interféromètre. En effet, les nombreuses antennes qui composent le réseau travaillent de concert afin de collecter la lumière, comme le ferait un télescope virtuel de vastes dimensions. En conséquence, les nouvelles images de SDP.81 obtenues par ALMA sont dotées d'une résolution quelque six fois supérieure à celles acquises dans l'infrarouge par le Télescope Spatial Hubble.

La capacité d'ALMA à observer les plus infimes détails dépend de la distance entre les antennes. Dans le cas présent, la séparation maximale, soit 15 kilomètres, a été nécessaire. Cette disposition permet de discerner des détails de 0,023 secondes d'arc ou 23 millisecondes d'arc. Par comparaison, la résolution atteinte par Hubble dans le proche infrarouge est voisine de 0,16 secondes d'arc.

Les modèles complexes des astronomes révèlent l'existence d'une structure fine, jamais observée auparavant, au sein de SDP.81. Cette dernière arbore la forme de nuages poussiéreux, probablement de vastes réservoirs de gaz moléculaire froid – ou lieux de naissance des étoiles et de leurs cortèges de planètes. Ces modèles ont été en mesure de corriger la distorsion géométrique générée par l'effet de lentille gravitationnelle.
 
 
 
Zones de formation d'étoiles dans SDP.81. Source Arxiv.
 
Les observations d'ALMA présentent un tel degré de résolution que les chercheurs peuvent détecter, au sein de cette lointaine galaxie, des régions de formation stellaire dont les dimensions n'excèdent pas les 100 années-lumière – soit l'équivalent de gigantesques nébuleuses d'Orion produisant, à l'autre extrémité de l'Univers, de nouvelles étoiles à un rythme mille fois supérieur. C'est la toute première fois que ce phénomène peut être observé à une distance aussi élevée.

"L'image de la galaxie recomposée par ALMA est spectaculaire", s'enthousiasme Rob Ivison, co-auteur de deux des publications scientifiques et Directeur de la Science à l'ESO. "La vaste surface collectrice d'ALMA, la grande distance qui sépare ses antennes, et la stabilité de l'atmosphère qui surplombe le désert de l'Atacama, contribuent chacune à l'obtention d'images et de spectres extrêmement résolus. En d'autres termes, les observations obtenues sont très détaillées, ainsi que les informations concernant les mouvements qui animent les différentes régions de la galaxie. Nous pouvons désormais étudier des galaxies situées à l'autre extrémité de l'Univers, au moment où elles fusionnent et donnent naissance à un grand nombre d'étoiles. C'est le genre de truc qui m'incite à me lever le matin !"

L'information spectrale recueillie par ALMA a par ailleurs permis aux astronomes de mesurer la vitesse de rotation de la galaxie et d'estimer sa masse. Les données indiquent que le gaz de cette galaxie est instable : certains amas de gaz sont en cours d'effondrement en effet, et probablement sur le point de se changer en vastes régions de formation stellaire.

En outre, la modélisation de l'effet de lentille gravitationnelle révèle l'existence d'un trou noir supermassif au cœur de la galaxie lentille d'avant-plan. Les régions centrales de SDP.81 sont trop peu lumineuses pour être détectées, ce qui laisse à penser que la galaxie d'avant-plan abrite un trou noir supermassif doté d'une masse supérieure à 200 ou 300 millions de masses solaires.
 

Sources principales :

>>>  Sharpest View Ever of Star Formation in the Distant Universe (ESO)

>>>  La vue la plus détaillée à ce jour de l'Univers lointain (CNRS)


Cette recherche fait l'objet de huit publications disponibles sur Arxiv, à savoir :

>>>  High-resolution ALMA observations of SDP.81. I. The innermost mass profile of the lensing elliptical galaxy probed by 30 milli-arcsecond images

>>>  Revealing the complex nature of the strong gravitationally lensed system H-ATLAS J090311.6+003906 using ALMA

>>>  ALMA maps the Star-Forming Regions in a Dense Gas Disk at z~3

>>>  The Inner Mass Distribution of the Gravitational Lens SDP.81 from ALMA Observations

>>>  High-resolution ALMA Observations of SDP.81. II. Molecular Clump Properties of a Lensed Submillimeter Galaxy at z=3.042

>>>  ALMA Long Baseline Observations of the Strongly Lensed Submillimeter Galaxy HATLAS J090311.6+003906 at z=3.042

>>>  ALMA imaging of SDP.81 - I. A pixelated reconstruction of the far-infrared continuum emission

>>>  ALMA imaging of SDP.81 - II. A pixelated reconstruction of the CO emission lines

 

 

 
Image grand-angle de l'ordinateur chargé de compiler les données des antennes d'ALMA. Celui-ci est capable d'exécuter 66 millions de milliards d'opérations par seconde. Crédit : ALMA.
 

 

 
 
 

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