6 juin 2015

 

Le phosphore noir, semi-conducteur du futur

 
En réussissant à prévenir l'oxydation des couches ultrafines de phosphore noir, les chercheurs ont ouvert la voie à un nouveau type d'électronique, à la fois plus performante et meilleur marché.

Phosphore vient du mot grec phosphoros, et signifie littéralement "porteur de lumière". Il a été obtenu pour la première fois par l'alchimiste allemand Hennig Brandt en 1669 par évaporation, puis sédimentation de l'urine, traitement à haute température puis récupération des vapeurs émise dans l'eau. Il s'agissait du premier élément isolé depuis l'Antiquité, une étape que bien des scientifiques considèrent comme le point de départ de la chimie moderne. Il s'agissait alors de phosphore blanc, qui a la propriété de luire dans l'obscurité, d'où son nom.

Le phosphore dit "élémentaire" peut exister sous formes amorphes ou cristallines : on parle alors de variétés allotropiques du phosphore. Les plus communes sont le phosphore blanc et le phosphore rouge solides. Il existe également des variétés violet et noir, toujours sous forme solide. Le phosphore gazeux existe sous la forme de diphosphore et de phosphore atomique. Précisons aussi qu'il s'agit d'un élément primordial de la vie sur Terre, car ARN, ADN, ATP et membranes cellulaires en contiennent.

Le phosphore noir : futur acteur de premier plan dans les nouvelles technologies

Le phosphore noir, la variété allotropique qui nous intéresse, présente une structure lamellaire semblable à celle du graphite, et intéresse de plus en plus les physiciens ainsi que tous les chercheurs en matériaux nouveaux. En effet, il est possible d'obtenir à partir de celui-ci des couches ultraminces, monoatomiques, nommées phosphane 2D.

Voisin du graphène dont il possède certaines caractéristiques, le phosphane 2D allie surtout deux propriétés très convoitées. Mais pour cela, il était nécessaire d'empêcher l'oxydation des couches monoatomiques de phosphane 2D afin de préserver ses propriétés de surface, et c'est justement ce que vient de réaliser une équipe de chercheurs de l'Université de Montréal, de Polytechnique Montréal et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de France, ouvrant ainsi la voie à l'exploitation de leurs étonnantes propriétés en vue de la conception de nombreux dispositifs optoélectroniques.
 
 

 
Echantillon de phosphore noir, ou phosphane 2D. Crédit : Université de Montréal.
 
Les étonnantes propriétés du phosphane 2D

D'une part, le phosphane 2D est un matériau semi-conducteur offrant les caractéristiques nécessaires pour réaliser des transistors et des processeurs. Cen'est pas nouveau, mais sa fabrication aisée incite les chercheurs à penser que le phosphane 2D pourrait être à la base d'une électronique à la fois performante et bon marché.

Mais surtout, ce nouveau matériau possède une deuxième caractéristique encore plus distinctive : son interaction avec la lumière dépend strictement du nombre de monocouches atomiques impliquées; une monocouche émettra de la lumière rouge alors qu'un échantillon plus épais émettra dans l'infrarouge. Cette variation permet de fabriquer une large gamme de dispositifs optoélectroniques, comme des lasers ou des détecteurs, dans une fraction stratégique du spectre électromagnétique.

Un obstacle essentiel enfin franchi

L'étude des propriétés du phosphane 2D était freinée jusqu'à ce jour par un problème : en conditions ambiantes, les couches de ce matériau s'oxydent et se dégradent, au point de compromettre son avenir dans l'industrie malgré son potentiel prometteur.

C'est donc une avancée marquante qu'a réussie cette équipe de chercheurs en parvenant à déterminer les mécanismes physiques en jeu dans cette dégradation et à identifier les éléments-clés induisant l'oxydation des couches. "Nous avons démontré que le phosphane subit une oxydation dans des conditions ambiantes, provoquée conjointement par la présence d'oxygène, d'eau et de lumière. Nous avons aussi caractérisé l'évolution dans le temps de ce phénomène en utilisant la spectroscopie par faisceau d'électrons ainsi que la spectroscopie Raman", rapporte le Pr Richard Martel du Département de chimie de l'Université de Montréal.

Par la suite, les chercheurs ont mis au point une procédure efficace pour produire et préserver intactes ces monocouches très fragiles. "Nous avons pu ainsi étudier les modes de vibrations des atomes dans ce nouveau matériau. Comme les études précédentes avaient été réalisées sur des matériaux fortement dégradés, nous avons révélé des effets jusqu'alors insoupçonnés du confinement quantique sur les modes de vibrations des atomes", indique le Pr Sébastien Francoeur du Département de génie physique de Polytechnique Montréal.

Les résultats de cette étude vont aider la communauté scientifique mondiale à exploiter les propriétés très particulières du phosphane 2D, dans le but de développer de nouvelles nanotechnologies qui donneront le jour à des microprocesseurs, lasers, cellules solaires, etc. à hautes performances.

Source principale :

Photooxidation and quantum confinement effects in exfoliated black phosphorus (Nature Materials).

 

 

 
Structure du phosphore noir. Image Commons.
 

 

 
 
 

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