Qui n'a pas souhaité posséder une
troisième main pour accomplir une tâche ardue ? Ou encore avoir un
pouce de plus pour texter plus rapidement ? Chose certaine, si
l'évolution devait entraîner semblables changements anatomiques,
cela prendrait du temps... Beaucoup de temps !
Par exemple, il y a 3,8 millions d'années, notre ancêtre
australopithèque ressemblait plus à un singe qu'à un être humain,
mais il affichait le signe d'une transformation morphologique
importante : ses gros orteils n'étaient plus opposables aux autres
orteils, contrairement aux primates qui avaient toujours besoin de
cette particularité pour mieux s'agripper aux branches des arbres.
"Il a fallu au moins 200 000 ans pour que le gros orteil de
l'australopithèque s'aligne sur les autres orteils afin de faciliter
la locomotion bipède", précise Michelle Drapeau, professeure au
Département d'anthropologie de l'Université de Montréal. Et,
étonnamment, les 200 millénaires qui ont été nécessaires pour en
arriver à ce changement représentent une période relativement...
courte !
"Dans l'évolution, il faut de nombreux microchangements pour
parvenir à un macrochangement, ajoute Mme Drapeau. Et ces
microchangements résultent nécessairement d'une pression sélective,
c'est-à-dire d'un avantage pour le succès reproducteur de l'espèce".
Concept central de la théorie de l'évolution de Charles Darwin, la
valeur sélective d'un individu repose sur le nombre de ses
descendants qui atteindront la maturité sexuelle et qui se
reproduiront à leur tour. Ainsi, l'alignement progressif de notre
gros orteil sur les autres doigts de pied découlerait de l'avantage
reproductif que nous procurait la bipédie – possiblement parce que
marcher sur deux jambes permettait de franchir de plus grandes
distances et de transporter plus de nourriture aux petits, qui
pouvaient ainsi mieux survivre.
Évolution et adaptation culturelle
Homo sapiens, c'est-à-dire l'homme moderne tel qu'on le connaît
aujourd'hui, est «apparu» il y a environ 200.000 ans. Depuis, il n'a
connu aucune modification anatomique notable. Pourquoi ? Parce que,
contrairement aux autres espèces animales, l'évolution de l'homme ne
s'est pas faite que par la seule sélection naturelle. Son cerveau
ingénieux lui a permis de concevoir des adaptations culturelles très
complexes. Ainsi, en domestiquant les animaux il y a 10.000 ans,
certains peuples sont devenus tolérants au lactose.
De même, le changement de couleur de peau est le reflet d'une
adaptation génétique attribuable à un changement environnemental. "Issus
d'Afrique, nos ancêtres avaient probablement la peau foncée, mais,
en raison de la migration vers les latitudes nordiques, la synthèse
de la lumière en vitamine D est devenue plus difficile, explique la
paléoanthropologue. En quelques millénaires, leur peau a pâli pour
mieux absorber les rayons ultraviolets nécessaires à la production
de la vitamine D".
Par ailleurs, la capacité d'Homo sapiens à adapter l'environnement à
son mode de vie a grandement réduit le besoin d'évoluer
morphologiquement. "L'être humain moderne devrait avoir l'allure
qu'il a maintenant pour encore longtemps, conclut Michelle Drapeau.
À moins d'un bouleversement environnemental majeur, notre corps ne
risque pas d'avoir beaucoup changé d'ici 40.000 ans", du moins
d'un point de vue de la théorie de l'évolution.
Mais qui sait si, d'ici là, l'homme n'aura pas trouvé le moyen de
modifier génétiquement son apparence ?
Source : Martin LaSalle,
Université de Montreal.
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