|
Reptiliens intelligents, mangeurs de
silicium... Les auteurs de science-fiction ne manquent pas
d'imagination quand il s'agit de deviner à quoi ressemblent les
extraterrestres. Mais la réalité a-t-elle déjà dépassé leur
fantaisie ?
Au début des années 2000, lors d'une vérification de routine du
quatrième réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl par un
robot, les inspecteurs ont découvert sur les parois intérieures du
sarcophage l'apparition d'un dépôt noir étrange. Les échantillons de
ce dépôt prélevé par le robot ont été envoyés au laboratoire, qui a
obtenu des résultats surprenants: en regardant de plus près, ce
dépôt s'est révélé vivant. Plus précisément, il s'agissait de
moisissure
Cladosporium sphaerospermum.
Sa couleur radicalement noire est due au pigment de mélanine, le
même qui fonce la peau des hommes. Les chercheurs ont supposé que le
champignon aurait pu "bronzer" pour la même raison que les hommes -
se protéger des rayonnements - d'autant que depuis quinze ans les
chercheurs de l'Institut de microbiologie et de virologie Zabolotny
de Kiev étudient des colonies de champignon avec une quantité de
mélanine accrue présentes dans les sols autour du sarcophage.
Cependant, l'affaire s'est révélée bien plus insolite.
Les champignons de Tchernobyl
En 2007, un groupe de chercheurs du collège de médecine Albert
Einstein de New York a publié dans la revue scientifique PLOS One un
article intitulé "Le rayonnement ionisant modifie les propriétés
électriques de la mélanine et accélère la croissance des champignons
mélanisés", dont les conclusions sont vraiment sensationnelles.
Les chercheurs ont effectué des tests sur des champignons contenant
de la mélanine Wangiella dermatitidis, Cryptococcus neoformans et
les Cladosporium sphaerospermum de Tchernobyl, pour découvrir qu'ils
ne résistaient pas simplement au rayonnement ionisant néfaste, mais
grandissaient plus rapidement sous l'impact de la radiation !
Une augmentation du niveau de radiation de 500 fois a fait tripler
l'accroissement de la biomasse (en comparaison avec les champignons
des mêmes espèces non irradiés et non mélanisés). Et les
Cladosporium sphaerospermum de Tchernobyl ont montré un effet encore
plus intéressant: la radiation accélérait leur croissance même quand
la quantité de matière nutritive était restreinte. On ignorait
d'abord si la moisissure avait appris à utiliser le rayonnement
gamma, comme les plantes utilisent la lumière pour la photosynthèse
(ou plus exactement "radiosynthèse"), ou utilisait simplement
l'énergie de l'ionisation pour accélérer sa nutrition hétérotrophe
normale.
Une radiation comestible
Plusieurs laboratoires scientifiques ont immédiatement commencé à
étudier la moisissure. Comme le dévoile l'étude du laboratoire
national américain de Savannah River publiée dans le magazine
Bioelectrochemistry, "le rayonnement gamma interagit avec la
mélanine en modifiant son potentiel oxydo-régénérateur et produit de
l'électricité". Visiblement, le champignon parvient donc à utiliser
l'énergie de la radiation, même si le détail des processus
moléculaires à l'œuvre reste inconnu pour l'instant.
Vers les étoiles
Si ces conclusions étaient confirmées, elles pourraient avoir des
conséquences très importantes tant pour la recherche fondamentale
qu'appliquée. Surtout, cela pourrait complètement changer notre
vision de domaines comme les voyages spatiaux lointains.
Après tout, cette découverte raye l'exigence de se trouver dans une
zone habitable de la liste des conditions pour le développement de
la vie.
Depuis longtemps, ces affirmations suscitent de sérieux doutes,
notamment après la découverte d'écosystèmes autour des monts
hydrothermaux, également appelés fumeurs noirs. La photosynthèse y
est impossible à cause des ténèbres éternelles et la base de la
chaîne alimentaire se compose donc de bactéries qui opèrent une
chimiosynthèse. Les bactéries obtiennent de l'énergie en oxydant les
produits chimiques émis par la source, comme l'hydrogène sulfuré. Il
serait donc raisonnable de chercher de tels écosystèmes dans les
océans glacés d'Europe, satellite de Jupiter.
Cependant, les limites de la chimiosynthèse sont flagrantes: le
combustible chimique a la propriété de s'épuiser rapidement, parfois
plus vite que les habitants n'arrivent à évoluer et produire
l'électrification ou des fusées pour s'envoler avant qu'il ne soit
trop tard. Sans oublier que les sources hydrothermales nécessitent
une activité volcanique qui n'est pas toujours présente: sur Europe
elle l'est très probablement, mais pas sur Mars. Alors que la
radiation ne demande pas du tout la présence d'une planète !
Des vaisseaux vivants
Ces réflexions nous mènent au concept de "vaisseau vivant", bien
illustré par le vaisseau Lexx de la série éponyme, qui montre les
avantages de cette approche, notamment la capacité à se régénérer et
à se reproduire. Comme nous le voyons, la nature a déjà avancé dans
la bonne direction. Les parois des champignons sont recouvertes de
chitine, un excellent matériau structurel (les crustacés, les
insectes et les arachnides ne diront pas le contraire).
Les cosmonautes du futur pourraient très bien avoir besoin d'un
matériau capable de s'auto-réparer en cas de dommages, de se
multiplier par des spores, de construire de nouvelles sections avec
des débris et des déchets spatiaux en vol, en plus de nourrir
l'équipage (si une partie de la biomasse était comestible). Et même
avoir des fonctions médicales grâce à une activité antibiotique
naturelle! Mais qui commanderait à bord, des hommes… ou une
moisissure développée dans le mycélium de laquelle dorment encore
les instincts d'un conquérant de l'espace ?
|
|