Des molécules organiques inédites
Vingt-cinq minutes après le contact initial de Philae avec le noyau
de la comète, COSAC (Cometary sampling and composition experiment)
a réalisé une première analyse chimique, en mode "renifleur",
c’est-à-dire en examinant les particules entrées passivement dans
l’appareil. Ces particules proviennent vraisemblablement du nuage de
poussière produit par le premier contact de Philae avec le sol.
Seize composés ont pu être identifiés, répartis en six classes de
molécules organiques (alcools, carbonyles, amines, nitriles, amides
et isocyanates). Parmi eux, quatre sont détectés pour la première
fois sur une comète (l’isocyanate de méthyle, l’acétone, le
propionaldéhyde et l’acétamide).
Ces molécules sont des précurseurs de molécules importantes pour la
vie (sucres, acides aminés, bases de l’ADN…). Mais la présence
éventuelle de ces composés plus complexes n’a pas pu être identifiée
sans ambigüité dans cette première analyse. Par ailleurs, quasiment
toutes les molécules détectées sont des précurseurs potentiels,
produits, assemblages, ou sous-produits les uns des autres, ce qui
donne un aperçu des processus chimiques à l’œuvre dans un noyau
cométaire et même dans le nuage protosolaire en effondrement, aux
premiers temps du système solaire.
Des amas de matière organique dès l’origine
Les caméras de l’expérience CIVA (Comet infrared and visible
analyser) ont révélé que les terrains proches du site d’atterrissage
final de Philae sont dominés par des agglomérats sombres qui sont
vraisemblablement de gros grains de molécules organiques. Les
matériaux des comètes ayant été très peu modifiés depuis leurs
origines, cela signifie qu’aux premiers temps du système solaire,
les composés organiques étaient déjà agglomérés sous forme de
grains, et pas uniquement sous forme de petites molécules piégées
dans la glace comme on le pensait jusqu’à présent. Ce sont de tels
grains qui, introduits dans des océans planétaires, auraient pu y
favoriser l'émergence du vivant.
Des terrains variés cachant un intérieur plutôt homogène
COSAC a identifié un grand nombre de composés azotés, mais aucun
composé soufré, contrairement à ce qu’avait observé l’instrument
ROSINA, à bord de Rosetta. Cela pourrait indiquer que la composition
chimique diffère selon l’endroit échantillonné.
Par ailleurs, les propriétés mécaniques des terrains ont pu être
déduites de l’"accométage" à rebondissements de Philae.
L’atterrisseur a d’abord touché la surface à un endroit baptisé
Agilkia, et a ensuite rebondi plusieurs fois avant d’atteindre le
site nommé Abydos. La trajectoire de Philae et les données
enregistrées par ses instruments montrent qu’Agilkia est composé de
matériaux granuleux sur une vingtaine de centimètres, tandis
qu’Abydos a une surface dure.
Au contraire, l’intérieur de la comète parait plus homogène que
prévu par les modèles. L’expérience radar CONSERT (Comet nucleus
sounding experiment by radio transmission) donne, pour la
première fois, accès à la structure interne d’un noyau cométaire. Le
temps de propagation et l’amplitude des signaux ayant traversé la
partie supérieure de la "tête" (le plus petit des deux lobes de
Tchouri) montrent que cette portion du noyau est globalement
homogène, à l’échelle de dizaines de mètres. Ces données confirment
aussi que la porosité est forte (75 à 85%), et indiquent que les
propriétés électriques des poussières sont analogues à celles de
chondrites carbonées.
Une surface tourmentée
L’expérience CIVA-P (P pour panorama), composée de sept
microcaméras, a pris une image panoramique (360°) du site
d’atterrissage final de Philae. Elle révèle que les fractures déjà
repérées aux grandes échelles par Rosetta se retrouvent aussi
jusqu’à l’échelle millimétrique. Ces fractures sont formées par choc
thermique, en raison des grands écarts de température que connait la
comète lors de sa course autour du soleil.
Des précisions sur la localisation et l’orientation de Philae
Cette image panoramique où apparaît par endroits un pied ou une
antenne, a aussi révélé la position de Philae. Il repose dans un
trou de sa propre taille, couché sur le côté (avec seulement deux
pieds sur trois au contact du sol), et entouré de parois qui
compliquent son alimentation en énergie solaire et ses
communications avec Rosetta.
L’instrument CONSERT a quant à lui déterminé, avec trois périodes
d’observations en visibilité directe entre la sonde Rosetta et
Philae, la zone (150 mètres par 15 mètres) où se trouve Philae. Cela
a facilité la reconstitution de la trajectoire de Philae entre le
premier site de contact, Agilkia, et le site d’atterrissage final,
Abydos. Puis, en utilisant les signaux qui ont traversé l’intérieur
de la comète, CONSERT a réduit l’incertitude sur la localisation de
Philae (au bord de la région dénommée Hatmehit) à une bande de 21
mètres par 34 mètres.Sources :
67P/Churyumov-Gerasimenko surface properties, as derived from the
first CIVA-P in situ panoramic images, J-P. Bibring et al.,
Science, 31 juillet 2015. DOI : 10.1126/science.aab0671.
Properties of the 67P/Churyumov-Gerasimenko interior revealed by
CONSERT radar, W. Kofman et al., Science, 31 juillet 2015. DOI :
10.1126/science.aab0639.
Organic compounds on comet 67P/Churyumov-Gerasimenko revealed by
COSAC mass spectrometry, F. Goesmann et al., Science, 31 juillet
2015. DOI : 10.1126/science.aab0689.
The landing(s) of Philae and inferences about comet surface
mechanical properties, J. Biele et al., Science, 31 juillet
2015. DOI : 10.1126/science.aaa9816.
|