La bombe fabriquée à partir de l'isomère
hafnium Hf-178-m2 aurait pu devenir l'explosif non-nucléaire le plus
cher et le plus puissant de l'histoire, si les USA avaient réussi à
la construire. Aujourd’hui, cet échec est reconnu comme l'un des
plus grands ratés de l'Agence américaine pour les projets de
recherche avancée de défense (Darpa).
Le détonateur a été assemblé à partir d'un appareil à rayons X hors
service installé jusque-là dans le cabinet d'un dentiste, et d'un
amplificateur domestique acheté dans un magasin d'électronique
banal. L'appareil remplissait sa tâche : bombarder de rayons X un
gobelet en plastique retourné servant de support à un minuscule
échantillon de hafnium à peine visible, ou plus précisément de son
isotope Hf-178-m2.
Après le traitement des données recueillies, le directeur du Centre
d'électronique quantique Carl Collins a annoncé que cette
expérience, qui a duré plusieurs semaines, était un succès. A en
juger par les enregistrements des appareils, son groupe avait trouvé
un moyen de créer des bombes miniatures d'une puissance colossale,
des dispositifs de la taille d'un poing capables de causer des
dégâts comparables à plusieurs dizaines de tonnes d'un explosif
classique. En fait, un kilogramme de Hf-178-m2 à l'état pur possède
une énergie potentielle de 1330 gigajoules, soit l'équivalent de
l'énergie dégagée par l'explosion de 317 tonnes de TNT (40 kg de
Hf-178-m2 suffiraient donc à fabriquer une bombe de puissance
équivalente à celle ayant ravagé Hiroshima).
C'est ainsi qu'a débuté, en 1998, l'histoire de la bombe isomérique,
devenue ensuite célèbre comme l'une des plus grandes erreurs dans
l'histoire de la science et des recherches militaires.
En dépit du scepticisme de la communauté scientifique, les
militaires américains ont littéralement perdu la tête avec les
promesses de Collins. Et il y avait de quoi ! Le rayonnement des
isomères nucléaires ouvrait la route à la création de bombes
foncièrement nouvelles qui étaient, d'une part, bien plus puissantes
par rapport aux explosifs classiques et, d'autre part, ne tombaient
pas sous les restrictions internationales concernant la production
et l'usage de l'armement nucléaire. Une bombe isomérique n'est en
effet pas nucléaire, car elle ne demande pas de transformation d'un
élément en un autre.
Hf-178-m2
Le hafmium est un métal ductile, d'aspect argenté, chimiquement très
semblable au zirconium duquel il est difficile à distinguer bien que
son poids spécifique soit presque deux fois supérieur. 72ème élément
du tableau périodique, il est excessivement rare et représente
0,00058 % de la croûte terrestre, ce qui lui confère une valeur de
plusieurs millions de dollars le gramme. Son point de fusion
particulièrement élevé de 3890°C et sa propriété d'absorber les
neutrons en font un matériau de choix dans la fabrication de barres
de contrôle des réacteurs nucléaires. Même se il n'a pas été
largement utilisé dans la construction ou l'aérospatiale, il a été
suggéré en tant que matériau de construction pour les structures
exposées à une chaleur intense.Les
bombes isomériques auraient pu être très compactes (elles n'ont pas
de limitation en termes de masse minimale, au contraire des
explosifs nucléaires, car le processus de passage des noyaux de
l'état excité à l'état normal ne nécessite pas de masse critique) et
en explosant elles auraient libéré une énorme quantité de
rayonnement dur, éliminant toute forme de vie. D'autant que les
bombes de hafnium pouvaient être considérées comme relativement
"propres", l'état fondamental du hafnium 178 étant stable et
dépourvu de toute radioactivité intrinsèque. De ce fait, l'explosion
n'aurait pratiquement causé aucune contamination des lieux.
Dans les années qui ont suivi, la Darpa a investi dans l'étude de
Hf-178-m2 plusieurs millions de dollars. Cependant, les militaires
n'ont jamais reçu d'exemplaire fonctionnel de la bombe. Cela
s'explique en partie par les échecs du programme de recherche :
durant plusieurs expérimentations, en utilisant des émetteurs
puissants de rayons X, Collins n'a pu réitérer les résultats obtenus
en 1998.
Plusieurs tentatives ont été entreprises durant de nombreuses années
pour reproduire ces résultats, mais aucun groupe de scientifiques
n'a réussi à confirmer avec certitude l'accélération de la fission
de l'état isomérique du hafnium. Les physiciens de plusieurs
laboratoires américains se sont penchés sur la question, de Los
Alamos à Argonne et Livermore. Ils ont utilisé un émetteur de rayons
X bien plus puissant, l'Advanced Photon Source du Laboratoire
national d'Argonne, mais n'ont jamais découvert l'effet de fission
induite, bien que l'intensité du rayonnement dans leurs expériences
dépassait largement celle des expériences de Collins. Leurs
résultats ont été confirmés par des experts indépendants d'un autre
laboratoire national américain, celui de Brookhaven, qui a utilisé
le puissant synchrotron National Synchrotron Light Source. Après
plusieurs conclusions insatisfaisantes, les militaires ont perdu
l'intérêt pour ce thème, le financement a été suspendu et le
programme a été fermé en 2004.
La fin des espoirs
Un point final a été mis à cette histoire par les physiciens russes.
En 2005, Evgueni Tkalia de l'Institut de physique nucléaire de
l'Université d'État Lomonossov de Moscou a publié dans la revue Les
succès de la physique un article intitulé "La fission induite de
l'isomère nucléaire 178m2Hf et la bombe isomérique". L'auteur a
exposé tous les moyens possibles d'accélérer la fission de l'isomère
de hafnium. Il en existe trois: l'interaction du rayonnement avec le
noyau et la fission par un niveau intermédiaire, l'interaction du
rayonnement avec une enveloppe électronique, qui transfère ensuite
l'excitation au noyau, et le changement de la probabilité de fission
spontanée.
En analysant ces moyens, Evgueni Tkalia a démontré qu'une réduction
conséquente de la demi-vie de l'isomère sous l'effet du rayonnement
radiologique allait complètement à l'encontre de toute la théorie
reposant à la base de la physique nucléaire contemporaine. Même avec
les réserves les plus favorables, les indices étaient largement
inférieurs à ceux annoncés par Collins.
Le 178m2Hf aurait pu servir à fabriquer un excellent explosif, si du
moins on avait découvert un moyen permettant d'accélérer
significativement son passage à l'état normal, c'est-à-dire créer un
dispositif qui jouerait le rôle de détonateur dans la bombe
isomérique. Mais il est pour l'instant impossible d'accélérer
l'émission de l'énergie colossale confinée dans l'isomère de
hafnium. Du moins, avec les technologies existantes.
|